Concours presse écrite « Les Mots Emmêlés »

 

RÈGLEMENT DU CONCOURS
DU MEILLEUR RÉCIT (REPORTAGE OU PORTRAIT) ET DE LA MEILLEURE INTERVIEW

« Les Mots Emmêlés »

Article 1 :
L’Association « Rugby : Culture et Passion » organise, dans le cadre de son festival « Rugbimages », deux concours réservés à la presse écrite francophone (papier ou numérique) pour décerner son prix du meilleur récit (enquête, reportage ou portrait) et celui de la meilleure interview.

Article 2 :
Ces articles devront avoir pour sujet principal le rugby.

Article 3 :
Ces articles devront avoir été publiés entre le 15 février 2019 et le 31 janvier 2020.

Article 4 :
Ces articles ne devront pas excéder 12000 signes. Ils devront être adressés par mail, au format word, à l’adresse suivante :

rugbimages@gmail.com 

La date limite pour l’envoi des textes est le 7 février 2020 à minuit.

Article 5 :
Le lauréat du prix du meilleur récit et celui de la meilleure interview recevront, chacun, 1 500 euros.

Article 6 :
L’Association « Rugby : Culture et Passion » formera un jury mixte composé d’acteurs du rugby (joueur, entraîneur, dirigeant), de journalistes professionnels et de personnalités. Après une pré-sélection opérée par l’Association « Rugby : Culture et passion », les membres de ce jury devront avoir reçu, deux semaines avant leur délibération, tous les textes retenus. Ces textes auront alors été rendus « anonymes » (même présentation et aucune indication de publication ou d’auteur) par l’Association.

Article 7 :
Le jury se réunira pour désigner les deux lauréats, au plus tard le 1er mars 2019

Article 8 :
Les participants autoriseront les organisateurs à publier tout, ou partie, de leur article présélectionné sur le site du Festival Rugbimages et sur sa page Facebook, après la proclamation des résultats.

Article 9 :
Tout lauréat de nos deux concours « Mots emmêlés » ne pourra à nouveau y participer durant les trois années suivant son succès. Ainsi, ne pourront participer à cette édition 2020, les lauréats de 2017, 2018 et 2019.

Article 10 :
Le fait de soumettre un article aux concours de l’Association « Rugby : Culture et Passion » implique l’acceptation de ce règlement.

 

 

Les articles primés – concours 2018

Premier prix : Nigel Owens : « L’humour m’a sauvé, il me sauve encore aujourd’hui »

Peut-on vous appeler la star des arbitres ?

Oh non ! Il n’y a pas de star de l’arbitrage. C’est juste que l’exposition s’est accrue. Le nombre de matches a augmenté et ils passent à la télé. En plus, on nous a équipés de micro afin d’expliquer les règles et les décisions. L’idée est d’aider à la compréhension du jeu et d’aider ce sport à se développer.

À la télé, les commentateurs français disent que vous aimez bien les caméras…

Mais non ! C’est juste que je fais mon boulot. En foot, l’arbitre est à 30-40 mètres du ballon ; en rugby, il doit coller au ballon comme un demi de mêlée. Là où se trouve le ballon, il y a des caméras, donc on nous voit. Et les micros qu’on porte font de nous un centre d’attention.

Vous avez quand même une personnalité à part…

Forte, oui, mais je pense qu’il en faut une pour arbitrer à ce niveau. J’essaye d’être chaleureux et j’aime l’humour. Je participe à une émission de télé au pays de Galles et je donne pas mal de conférences. Je fais du théâtre depuis l’âge de 14 ans, en plus du rugby. À 11 ans, j’étais pilier. À 12 ans, numéro 8. À 13 ans, je jouais arrière. Si bon que je suis devenu arbitre.

Un joueur nous a confié : « Nigel Owens aime poser son empreinte, quitte à influer sur le résultat. »

Je n’exige pas que le jeu soit pratiqué de telle ou telle manière. J’arbitre selon ce que les joueurs offrent comme attitude. S’ils sont dans la confrontation et un jeu fermé, je ne vais pas les changer. Je ne dicte rien. Je m’adapte au comportement des joueurs.

Le All Black Richie McCaw nous a avoué qu’il rédigeait un carnet avec des notes sur les arbitres…

Je sais. D’autres le font aussi. Un bon capitaine use de psychologie face à l’arbitre. Thierry Dusautoir avait ce sens-là, preuve de son leadership et de son intelligence émotionnelle. Il savait quand me parler : une fois le jeu arrêté. Clubs et sélections font un gros travail sur nous. Ce qu’on aime ou pas, la manière de parler. À nous de gérer, sans se sentir oppressés.

Sentez-vous une tendance au manque de respect chez les joueurs ?

Pas à pas, ils repoussent les limites. Le respect n’est plus ce qu’il était. Mes parents m’ont appris la politesse. Si je séchais les cours, j’avais un mot et une heure de retenue. Mes parents y ajoutaient une punition. Aujourd’hui, si ça arrive à un gamin, ses parents filent voir le prof pour contester.

La société a changé, le sport n’est pas préservé. En rugby,on se doit de garder le sens du respect. Chez nous, des supporters de Toulouse et de Clermont peuvent assister au match côte à côte et partager une bière. En foot, c’est impossible.

Vous accordez-vous le droit à l’erreur en match ?

Aucun joueur, coach ou arbitre ne peut réaliser un match sans erreur. Mais on se doit de faire de son mieux pour ne pas en faire. Et, au pire, qu’elles soient sincères et honnêtes.

En cas d’erreur, vous essayez de compenser ?

Si je fais ça, je triche. Deux erreurs ne font pas une décision juste. Et vous perdez le respect. Il y a dix ans, je pouvais ne m’apercevoir de ma bourde qu’en revisionnant le match le lendemain. Aujourd’hui, vingt secondes après, elle est sur les écrans géants des stades. Il faut passer à autre chose, car si cette erreur vous occupe l’esprit, elle va affecter votre performance. Certains font de la préparation mentale. Moi, pas. Je prends des notes avant la rencontre : les joueurs, les mêlées et les touches. Mais il ne faut pas arriver avec des idées préconçues. En match, tout peut être différent. Il faut arbitrer avec l’esprit ouvert, ne juger que ce qui se déroule sous nos yeux. Si des joueurs franchissent les limites, je siffle et je préviens : « Non ! Vous ne pouvez plus faire ça ! » Je pose les normes de l’acceptable. J’ai arbitré mon premier match, des moins de 15 ans, à l’âge de 16 ans. Depuis, j’en ai arbitré des milliers.

Dans votre biographie, un chapitre s’intitule « l’entertainer », l’amuseur…

Je le suis sur scène ou à la télévision, pas quand j’arbitre. Le terrain n’est pas mon théâtre. L’amusement vient du jeu, pas de moi. Pour que le spectacle soit bon, je dois faire preuve de rigueur et de précision. Ma manière de faire peut amuser, mais ce n’est pas un but.

Il existe une école du management par l’humour…

J’y adhère ! L’humour m’a été précieux dans la vie. Savoir rire de moi-même m’a aidé à accepter qui j’étais. Après, l’humour dans un contexte de match, c’est compliqué. Il faut avoir le bon timing. Si je pénalise un joueur devant son en-but, il va forcément être moins réceptif. Tout est question de vibration, de sensation. Il faut avoir l’envie de comprendre dans quelle situation est le joueur. Est-ce qu’il me comprend, me respecte ?

Vous souvenez-vous de la vanne qui a fait le plus gros bide ?

(Il se marre.) Je ne peux pas vous la raconter micro ouvert. Elle n’était pas politiquement correcte. J’aime penser que je comprends les situations avant de sortir une blague.

En tout cas, j’ai toujours adoré l’interaction avec le public. Voir les gens rire, ça vous élève et vous illumine intérieurement. Le temps s’arrête. Mais je préfère m’abstenir plutôt que balancer une blague inappropriée. Il y a des choses qu’on pouvait dire sur scène il y a vingt ans et qui ne sont plus acceptables. Le contexte a évolué…

On dit que l’humour est l’élégance du désespoir…

L’humour m’a sauvé dans les moments les plus noirs de ma vie. Et encore aujourd’hui quand je me sens seul. Dans de gros moments de blues, un programme télé humoristique est précieux. On rit aux éclats, on se dit que la vie vaut le coup. À 26 ans, j’ai tenté de mettre fin à mes jours. J’ai marché en transe durant quatre heures dans les montagnes du pays de Galles. J’avais avec moi un fusil et une dose massive de paracétamol. J’ai avalé une quantité énorme de « pills » (pilules en anglais). Je suis tombé dans le coma. Par je ne sais quelle grâce, un hélicoptère m’a repéré.

Après quarante-huit heures de soins intensifs, j’ai survécu. En sortant de l’hôpital, je ne voulais plus voir personne. Mes amis, le rugby, l’arbitrage… Impossible à envisager. Après quelques jours, j’ai fini par revenir à mon club de rugby. Des amis y buvaient un coup. Devant le bar, un pote commande une tournée. L’un voulait une lager, l’autre un strongbow (cidre). Quand est arrivé mon tour, mon pote a lancé : « Lui, il va prendre une Pils ! » (une bière blonde, abréviation de Pilsner, qui désigne la bière tchèque)… Tout le monde s’est marré et moi aussi. Dans cet éclat de rire, mes maux se sont enfouis.

Vous parlez assez librement de cette expérience…

Pourtant, c’est douloureux. Ça fait ressurgir de mauvais moments. Mes problèmes psychologiques, ma dépression, la difficulté d’accepter mon orientation sexuelle… Mais j’en parle car je sais que ça peut aider d’autres gens.

Vos maux ont commencé avec votre boulimie, à 16 ans.

La boulimie n’était qu’une conséquence des troubles de ma sexualité. À l’école, j’étais un enfant banal. Je jouais au rugby avec les copains. J’avais même une petite copine. À l’âge de 19 ans, j’ai réalisé que je me sentais attiré par les hommes. À mes yeux, c’était mal. Je n’avais pas été éduqué dans ce sens. J’étais censé avoir une copine, me marier, avoir des enfants. Puis devenir grand-père… Le monde est censé rouler ainsi. Je ne voulais pas être cette personne, je ne voulais pas être gay. Ça s’imposait à moi, mais je ne l’acceptais pas.

Et ?

Je mangeais en excès pour me rassurer. Je suis devenu gros, repoussant. Ça devenait difficile d’arbitrer. Pour perdre du poids, après chaque repas, j’allais aux toilettes et je me faisais vomir. J’ai perdu beaucoup de kilos ainsi. Cette boulimie m’a suivi jusqu’à mes 36 ans.

Comment cette boulimie a-t-elle pris fin ?

Lorsque ma mère m’a annoncé qu’elle était atteinte d’un cancer du foie et de l’estomac. Il ne lui restait plus qu’un an à vivre. Perdre sa mère, c’était tout perdre. Quand j’ai appris ça, je ne suis plus parvenu à me faire vomir. J’ai réalisé que je me rendais malade moi-même. Ma mère souffrait mais n’avait pas le choix, elle. Il lui fallait se battre, chaque jour, jusqu’au dernier. Sans espoir. Moi, je pouvais agir. C’était en 2009. Ma boulimie est partie d’un coup. Hélas, elle est revenue un an avant la Coupe du monde 2015. Nous devions faire des tests physiques très durs pour être sélectionnés. Il me fallait perdre trois kilos et j’avais ma méthode, radicale… Ma boulimie est revenue. Moins sévère qu’avant, mais bien présente.

Où en êtes-vous aujourd’hui ?

À Noël dernier, avec les fêtes, j’ai ressenti une profonde tristesse, un sentiment de solitude. Je me suis encore rendu malade. La boulimie, je ne m’en débarrasserai peut-être jamais… Elle fait partie de ma vie. Plus jeune, elle m’a amené à perdre beaucoup de poids, alors j’ai tenté de reprendre du muscle dans une salle de gym. Là, je me suis injecté des stéroïdes. Entre 19 et 26 ans, j’ai causé beaucoup de dommages à mon corps et à mon esprit. Je ne voyais plus d’issue. Voilà pourquoi j’ai tenté d’en finir. J’ai laissé mes parents avec un mot leur disant que je ne pouvais plus supporter mon existence. Je suis inexcusable de leur avoir fait tant de mal. Je devrai vivre avec ça jusqu’à la fin de mes jours. Je ne me le pardonnerai jamais.

Pourtant, vos parents, eux, vous ont pardonné…

Oui. Sur son lit d’hôpital, ma mère m’a dit : « Si tu recommences, prends-nous avec toi, ton père et moi. Nous ne voulons pas vivre sans toi. » Ma vie a changé ce jour-là. Je me suis accepté, moi et mon homosexualité. Malgré les remords et les regrets, je dois m’efforcer de voir le positif pour devenir meilleur et plus fort. J’en ai besoin ! Vous savez, quand un en-avant vous échappe sur le terrain, la presse se déchaîne sur vous ! Il faut être solide. Il y a des choses plus essentielles dans la vie qu’un match de rugby.

Vous avez fait votre coming out en 2007…

Je l’avais fait à ma famille et mes amis en 2005. Mais quand j’ai été retenu pour la Coupe du monde 2007, en France, c’est sorti dans la presse.

Aujourd’hui, quand on fait référence à vous comme l’arbitre gay, vous trouvez que c’est réducteur ou ressentez-vous le besoin de porter encore cet étendard ?

Un peu des deux. Au départ, les gens disaient : « Tiens, c’est l’arbitre gay. » Désormais, j’entends aussi : « Tiens, c’est Nigel Owens qui a arbitré la finale de la Coupe du monde. » J’aimerais ne pas avoir à parler de mon orientation sexuelle. Je ne voulais pas écrire une biographie. Des gens ont accompli bien plus de choses que moi. Je me suis décidé à écrire à la suite d’une interview parue dans le Wales on Sunday. Après cette interview, j’ai reçu de nombreux messages. Une lettre m’a bouleversé : une maman qui me remerciait (il marque une pause, très ému). Son fils avait tenté de mettre fin à ses jours. Elle redoutait qu’il recommence… Il leur avait expliqué son geste après qu’il avait entendu ses parents faire un commentaire positif sur moi. Il avait compris ce jour-là que ses parents parviendraient peut-être à l’accepter. Et il a osé leur dire.

Votre témoignage a donc été utile…

Je ne témoigne pas parce que je le veux, mais parce que je le dois. Je ne recherche pas à attirer l’attention sur ma sexualité. Si on me demandait d’abandonner mon métier passionnant pour une vie normale avec femme et enfants, j’accepterais sans hésitation. Je préférerais une vie normale.

C’est quoi une vie normale ?

Euh… une famille, une épouse et des enfants. Avoir donné des petits-enfants à mes parents, devenir grand-père à mon tour. Une famille, quoi. Vous savez, rentrer du boulot et trouver votre épouse qui vous attend. Accompagner vos enfants à l’entraînement de rugby…

Vous semblez en partie être votre propre bourreau…

Je ne me torture pas, mais, par moments, je suis assailli par un sentiment de solitude. J’ai une large famille, un tas d’amis proches, mais quand mon père de 82 ans partira, il ne restera plus que moi. Vieux, je n’aurai pas d’enfants pour venir me rendre visite à Noël. Mes amis passent du temps en famille. Moi, je n’ai pas ça… (Il s’interrompt.) Les gens me disent qu’ils rêveraient d’avoir ma vie : les voyages, arbitrer la finale de la Coupe du monde. Ils me disent ça avec les yeux qui brillent. Au fond, moi, j’aimerais avoir leur vie à eux.

Vous êtes parvenu à faire rire votre maman avant qu’elle parte, c’est pas mal…

C’est vrai. En novembre 2008, on avait organisé une cérémonie au club local de rugby à l’occasion de la sortie de mon livre en gallois. Il y avait des centaines de personnes. De grands joueurs m’avaient honoré de leur présence : Shane Williams, Gareth Jenkins, Jonathan Thomas. Il y avait de la famille, plein d’amis. Et maman. C’est la dernière fois qu’elle était en état de quitter la maison. Elle est morte deux mois plus tard. Ce jour-là, tandis que j’étais sur l’estrade (il se met à pleurer)… Excusez-moi… Les gens parlaient, riaient… J’ai senti ma mère heureuse. Si vous savez le bien que j’ai pu ressentir à la voir sourire ce jour-là.

Et surtout, ma mère m’a dit à ce moment combien elle était fière de moi.

Deuxième prix : L’homme qui achète le rugby

L’homme qui achète le rugby

Président du club de Montpellier et sponsor maillot du XV de France, Mohed Altrad est le personnage le plus influent d’un sport en pleine mutation. Le milliardaire, magnat de l’échafaudage, a noué des relations d’affaires troublantes avec Bernard Laporte, le patron de la Fédération.

 » Altrad a acheté la Fédération. » Laurent Labit ne mâche pas ses mots, ce 22 avril, au soir du match de la 21e journée de Top 14 perdu par le Racing 92 à Montpellier (54-3). En dépit d’excuses publiques écrites dans la foulée, l’entraîneur francilien écope de la part de la commission de discipline de la Ligue nationale de rugby (LNR) de quinze semaines de suspension de banc et d’une amende de 1.500 euros. Son club, lui, se voit infliger une peine de 50.000 euros. Il a beau dire tout haut ce que tout le rugby français pense tout bas, Labit paie la note pour ne pas s’en être tenu aux faits. Les faits ? Mohed Altrad n’a bien sûr pas « acheté » la Fédération. Il s’est seulement offert Bernard Laporte, son président.

Selon nos informations, cela s’est passé en février, par la signature d’un contrat de partenariat entre les sociétés Altrad Investment Authority et BL Communication, gérée par Laporte, alors fraîchement élu à la tête de la Fédération française de rugby (FFR). Ainsi, pour une durée d’un an jusqu’en février 2018, Altrad a acquis l’exploitation de l’image de l’ancien secrétaire d’État aux Sports. Le cahier des charges de cet accord est strict : Laporte est redevable de quatre interventions ou séminaires, à raison d’une journée minimum par événement. En contrepartie, dès la signature de l’acte, Altrad a versé 150.000 euros à BL Communication, hors frais de déplacement, de restauration et d’hébergement. La possibilité d’un renouvellement de ce partenariat au bout de douze mois figure au contrat. Altrad – qui nous dément catégoriquement l’existence de ce contrat – paie bien. À titre de comparaison, Laporte a encaissé 8.000 euros (hors taxe), le 13 mars, pour quatre heures de présence, dont une heure d’intervention, auprès des salariés de Century 21 au Palais des Congrès de Paris.

La somme offerte par Altrad apparaît rondelette, mais le président du club de rugby de Montpellier ne lésine pas sur les moyens lorsqu’il désire quelque chose. 36e fortune de France, il pèse 2,7 milliards d’euros, selon le dernier classement de Challenges. Le roman du groupe Altrad, devenu un géant mondial de la fourniture de matériel industriel aux entreprises du BTP, a débuté en 1985 à Florensac (Hérault) par le rachat de Mefran, un spécialiste de l’échafaudage pour les PME, en redressement judiciaire. À l’époque, Mohamed (dit Mohed) Altrad revient d’Abu Dhabi, où il a passé quatre ans à travailler pour l’Adnoc, la compagnie pétrolière nationale, après un début de carrière d’ingénieur en France chez Alcatel et Thomson. Sa réussite fulgurante a parfois suscité la méfiance.

Montré en exemple par Barack Obama

Georges Frêche, raconte souvent Altrad, le regardait comme « un agent syrien ». « Moi vivant, jamais Altrad », avait juré l’ancien maire de Montpellier lorsque le nom de l’homme d’affaires circulait comme possible repreneur du Montpellier Hérault Rugby (MHR). Décédé en octobre 2010, Frêche ne verra pas Altrad s’emparer du club quelques mois plus tard, au nez et à la barbe du clan Nicollin. Avec un chèque de 2,4 millions d’euros, il devient actionnaire principal du MHR. « Ce sont les collectivités locales qui m’ont demandé de venir pour sauver le club », jure-t-il en enfourchant l’escalope milanaise qu’il a commandée « avec des frites », dans cette brasserie du quartier Odysseum où il a ses habitudes. En permanence sur la brèche, voyageant aux quatre coins du monde où son groupe est implanté, Altrad a suspendu le temps pour nous recevoir. Courtois, attentionné, éludant les questions pénibles sans jamais hausser la voix, il campe le parfait gentleman. Son portable bipe pendant le déjeuner ? Il ne répond pas. Et puis, en guise de bienvenue, il offre des livres. Les siens, car ce grand patron écrit.

La « success story » de cet enfant né dans le désert syrien il y a une soixantaine d’années, très tôt orphelin, vaudrait un scénario à Hollywood. Excellent élève du lycée de Raqqa, il obtient une bourse pour venir étudier en France. Il arrive à Montpellier en 1969, sans parler notre langue, et s’inscrit à la fac de sciences. Il finit docteur en informatique. « Ce n’est qu’une histoire, elle n’est pas meilleure que les autres », minimise-t-il. Il la narre dans Badawi, son autobiographie publiée en 2002 chez Actes Sud, la maison d’édition dirigée par Françoise Nyssen, aujourd’hui ministre de la Culture. Officier de la Légion d’honneur en 2014 puis lauréat en 2015 du prix mondial de l’Entrepreneur de l’année, délivré par Ernst & Young, il est montré en exemple par Barack Obama. François Hollande lui confie la présidence de l’Agence France Entrepreneur (AFE), qui œuvre au développement de projets dans les quartiers défavorisés. Il travaille avec Emmanuel Macron, alors encore à Bercy. « Je viens de l’avertir que je ne peux plus continuer cette mission, faute de temps », dévoile-t-il. En juillet, Altrad a lancé une OPA sur Cape, un concurrent britannique, pour un montant de 332 millions de livres. Insatiable.

Déjeuner cinq étoiles avec Bernard Laporte

Altrad en pince pour Laporte depuis un an. « Il me ressemble un peu, en ce qu’il pense que rien n’est impossible, assure-t-il. Il n’a pas peur, sans être téméraire. C’est un homme d’action. » Au coeur de l’été 2016, Altrad réfléchit à la succession du manager de son club de rugby, le Sud-Africain Jake White. Il pense à Laporte. Mais celui-ci bat alors la campagne pour la FFR. Laporte accepte néanmoins le déjeuner que lui propose Altrad au Domaine de Verchant, à Castelnau-le-Lez. D’autant que le magnat de l’échafaudage affrète un jet privé pour « Bernie », alors en vacances en Corse. Très vite, les deux hommes, dans le cadre raffiné de ce cinq étoiles, comprennent qu’ils auront besoin l’un de l’autre dans les mois à venir.

En mai 2011, lorsqu’il prend les rênes du club de Montpellier, Altrad ne connaît rien aux choses de l’Ovalie. Un an plus tard, il s’est taillé en interne une réputation de tueur. Il « rationalise » les effectifs, à propos desquels il parlera d’« armée mexicaine », et va même jusqu’à envoyer Jean-Michel Arazo, le président de l’association MHR, au tribunal correctionnel, l’accusant d’avoir volé des billets de match. Ce dernier sera relaxé. « Il fallait changer certaines habitudes », commente Altrad. Arazo, qui avait fini en garde à vue, a passé l’éponge : il est aujourd’hui vice-président de la FFR chargé de la formation, l’un des bras droits de Laporte en tant que membre du comité directeur de l’institution. Fabien Galthié ? Altrad envoie son entraîneur aux prud’hommes et refuse de payer son indemnité de licenciement. Bloqué par la procédure, l’ancien demi de mêlée des Bleus ne peut s’engager avec aucun autre club pendant deux ans. Il récupère finalement 484.500 euros d’indemnités et signe à Toulon.

Progressivement, Altrad se met aussi à dos certains dirigeants du Top 14. Il est vu comme l’homme qui dérégule le marché en offrant des salaires exorbitants à des joueurs pas toujours confirmés. Le dernier en date ? Le jeune international français Yacouba Camara (23 ans, 6 sélections), qu’il chipe au Stade toulousain en lui proposant 41.000 euros brut mensuels. Le salaire moyen est de 19.000 euros brut en Top 14. Altrad se brouille surtout avec Paul Goze, le président de la Ligue nationale de rugby (LNR). « J’ai beaucoup travaillé pour lui sur le plan stratégique de la Ligue, il s’en est d’ailleurs bien servi pour se faire réélire, glisse le patron du MHR. Je croyais qu’il était mon ami. » Altrad ne cesse depuis lors de torpiller le boss de la Ligue. Jusqu’à l’accuser de couvrir un « racisme ordinaire rampant » à son encontre lors des réunions de la LNR quand des présidents de club le surnomment « le Bédouin » en son absence.

Le soutien appuyé de la Fédération

Deux épisodes scellent sa rupture avec Goze et, par ricochet, son rapprochement avec Laporte, qui tente justement à ce moment-là d’asseoir son autorité sur la Ligue. À la fin de l’année 2016, Altrad souhaite acquérir le club anglais de Gloucester. « L’Angleterre pèse 600 millions d’euros dans le chiffre d’affaires du groupe Altrad, soit presque un quart de l’activité, explique-t-il alors aux Échos. Mais, malgré cette forte implantation, nous manquons de notoriété outre-Manche. L’idée est d’avoir un support de communication efficace. » Le président de la LNR, à titre personnel, ne se montre pas favorable à cette opération, susceptible, estime-t-il, de créer un conflit d’intérêts si Montpellier vient à affronter Gloucester en Coupe d’Europe. Altrad essaie d’user de son pouvoir de persuasion, guirlande d’avocats à l’appui, pour le faire changer d’avis. D’autant qu’entre-temps il obtient le soutien du nouveau président de la FFR. Élu le 3 décembre, Bernard Laporte ne perd en effet pas une minute pour satisfaire la volonté de son hôte de l’été, en faisant adopter par le premier comité directeur de son mandat (14 décembre) le soutien de la FFR à Altrad. Goze et la LNR ne bougent pas. Quelques semaines plus tard, la Ligue anglaise elle-même s’oppose au rachat.

La deuxième lame survient lors du report par la Ligue de Montpellier-Racing 92 (21e journée), une conséquence de la grève des joueurs du Stade français et du Racing qui refusent la fusion des deux clubs. S’estimant lésé, Altrad appelle la Fédération à la rescousse. Il indique à un cadre du service juridique de la FFR qu’il souhaite voir celle-ci interjeter appel de la décision du bureau de la Ligue. Le juriste lui rétorque que la commission d’appel de la Fédération n’est pas compétente. Qu’à cela ne tienne : Altrad demande à la FFR d’exercer son droit de réforme prévu par la convention avec la Ligue, en invoquant « l’intérêt supérieur du rugby » ! Ses désirs font désordre, mais, le 22 mars, le bureau de la FFR s’exécute et « annule » le report du match. La suite ? Un désaveu pour la Fédération. Car, sûre de son fait, la LNR saisit le tribunal administratif de Versailles, qui se déclare incompétent, puis le Conseil d’État, qui lui donne raison le 12 avril.

Voyage en Mongolie à 106.000 euros

Comment Altrad est-il devenu si influent auprès de la FFR ? Le 7 mars, le groupe Altrad apporte son soutien à la candidature de la France à l’organisation de la Coupe du monde de rugby 2023. Le nom Altrad accompagne désormais le logo #France2023. Cela agace d’ailleurs sérieusement les partenaires de la FFR, qui estiment avoir été pris de court. Pour devenir la première marque de l’Histoire à apparaître sur le maillot du XV de France, le 11 mars contre l’Italie, lors du Tournoi des Six Nations, Altrad débourse 1,5 million d’euros hors taxe au profit de la FFR. Et ce jusqu’à ce que la Coupe du monde soit attribuée, le 15 novembre prochain. « Cet argent doit aller à la formation, l’une des choses que Laporte veut mettre en place », nous assure-t-il. Selon nos informations, une clause de ce contrat de partenariat, en vigueur jusqu’au 30 novembre et non renouvelable tacitement, stipule que « la FFR s’engage à ne rien faire qui puisse porter préjudice de quelque façon que ce soit à l’image et à la réputation d’Altrad ».

À vrai dire, la FFR serait bien mal lunée d’agir contre l’« image » et la « réputation » d’Altrad, car celui-ci se montre toujours plus généreux avec elle. Ainsi, lorsque Laporte et Claude Atcher, le patron de la société Score XV, missionné par la FFR pour diriger la candidature de France 2023, estiment devoir aller défendre le dossier en Mongolie, Altrad déploie ses ailes. Un vol aller de Lyon-Bron, où se trouve ce jour-là Laporte, à Oulan-Bator, le 19 mai. Un vol retour vers Paris-Le Bourget, le 22 mai. À chaque fois, via Kazan. L’avion : un Gulfstream G200. À bord : Laporte, Atcher, Serge Simon et Nicolas Hourquet, – respectivement vice-président et responsable des relations internationales à la FFR –, deux pilotes et une hôtesse. Coût du déplacement : 106.000 euros. Une paille pour Altrad. Qui finance un nouvel aller-retour express Paris-Le Bourget- Tbilissi, les 17 et 18 juin. Les dirigeants de la FFR sont acheminés en Géorgie, où se joue le Mondial des U20 (joueurs de moins de 20 ans), à bord d’un Cessna Citation X avec hôtesse, l’un des avions les plus rapides depuis le retrait du Concorde. La générosité est le meilleur investissement de tout bon businessman. Altrad le prouve en de nombreuses occasions. Il a ainsi aidé plus d’une fois les projets de Fabrice Fricou, un expert-comptable de la région du Puy qui organise aussi des conférences, mais surtout membre du Conseil supérieur de la DNACG, le gendarme financier du rugby…

Altrad se montre encore charitable en recrutant Louis Picamoles. La saison dernière, le numéro 8 du XV de France est le seul international tricolore qui évolue à l’étranger. Il joue en Angleterre, à Northampton, pour un salaire annuel de 420.000 livres, qui en fait le deuxième rugbyman le mieux payé outre-Manche. Mais, à deux ans de la Coupe du monde au Japon, c’est un casse-tête pour le sélectionneur Guy Novès, qui doit faire preuve de diplomatie pour convoquer l’un de ses meilleurs joueurs en dehors des fenêtres réglementaires de World Rugby (la fédération internationale). La solution ? Faire revenir Picamoles dans le Top 14.

Mais il y a un problème de taille : le joueur est toujours sous contrat et les transferts n’existent pas dans le rugby. La FFR se tourne donc vers Altrad. « Picamoles devait signer avant de s’engager en Angleterre, oppose ce dernier. On s’était tapé dans la main. » Le résultat est le même : Novès appelle Picamoles, qu’il connaît bien pour l’avoir aussi entraîné au Stade toulousain, Altrad règle la transaction financière (on parle de 1 à 2 millions d’euros, mais il refuse de confirmer), et le joueur signe trois ans. Pas rancunier, sur ce coup, l’international français : en 2012, sa mère, Laurence Picamoles, alors employée par le MHR, a fait partie du grand ménage opéré par Altrad au sein du personnel du club…

Intervention en commission d’appel

Le 7 juin, la commission de discipline de la Ligue prononce une amende de 70.000 euros à l’encontre du MHR pour des banderoles hostiles à la LNR, à Paul Goze et à Jacky Lorenzetti lors du match reporté contre le Racing 92. Elle décide par ailleurs de lever un sursis prononcé en 2015 et suspend de ce fait pour un match le terrain de Montpellier. Altrad interjette immédiatement appel auprès de la Fédération. La commission d’appel de la FFR se réunit le 29 juin, sous la présidence de Jean-Daniel Simonet. Avant la séance, cet avocat parisien est mis au parfum. Des consignes émanant de Laporte requièrent qu’un « esprit de bienveillance » soit porté aux différents cas jugés pour le club de Montpellier.

C’est que la commission d’appel de la FFR doit aussi se prononcer sur la suspension de deux joueurs du MHR : Jacques du Plessis, pour quatre semaines, et Jannie du Plessis, pour six semaines. Selon nos informations, ce 29 juin, la commission confirme le jugement de première instance rendu par la Ligue. Or un courrier daté du 30 et signé par Jean-Daniel Simonet annonce à Mohed Altrad que l’amende est réduite à 20.000 euros et que son stade n’est plus suspendu. Montpellier recevra bien Agen lors de la 1re journée de Top 14, le 26 août. Quant aux joueurs, leurs peines sont réduites respectivement à trois et quatre semaines. Miracle ? En réalité, d’après plusieurs sources proches de ce dossier, Laporte est intervenu pour obliger la commission d’appel de la FFR, une instance théoriquement indépendante, à réduire les peines frappant le MHR.

Selon nos informations toujours, les liens tissés entre Altrad, Laporte et la Fédération vont encore se renforcer. Altrad est en effet sur le point d’intégrer le cercle des partenaires officiels de la FFR, une condition sine qua non pour qu’il puisse devenir, dans un second temps, le sponsor maillot du XV de France, dès le Tournoi des Six Nations 2018. « Je sais que je ne suis pas seul à y prétendre, mais je trouve logique de vouloir m’inscrire dans la continuité du partenariat #France2023, nous glisse-t-il. Une décision devrait être prise courant septembre. » En réalité, l’affaire est déjà dans le sac. Altrad et Simon, le bras droit de Laporte, ont consolidé leur stratégie de collaboration lors d’un dîner le 31 juillet. Mieux : la FFR offre désormais à Altrad de prendre la présidence du GIP (groupement d’intérêt public) qui sera chargé de l’organisation de la Coupe du monde 2023 en France.

Troisième prix : Doddie Weir - " Je ne veux pas inspirer la pitié..."

Doddie Weir, ancien deuxième ligne de l’Ecosse

« Je ne veux pas inspirer la pitié… »

Châpo: Condamné par la maladie de Charcot, l’affection ayant récemment emporté Joost van der Westhuizen, Doddie Weir (61 sélections) a décidé de partir « en croisade »…

Au « Petit Paris » de Grassmarket, un café français du quartier branché d’Edimbourg, Doddie Weir (47 ans) passe commande à un serveur qui lui rend un peu plus de quarante centimètres. « Un verre de vin rouge et un café, s’il vous plait ». Drôle de mariage, pour un drôle de mec. Weir, c’est deux mètres et des poussières d’humour british débité dans un accent écossais à couper au couteau, à fendre les bûches. Il vient à peine de tremper ses lèvres dans son verre de picrate qu’il s’empare du smartphone posé sur la table et censé enregistrer la conversation. « C’est votre femme, en photo ? » Oui. « Elle est bien plus jolie que vous ne l’êtes. Vous devez avoir un talent caché ». Il explose d’un rire sonore et la déflagration secoue les murs en brique du Petit Paris, où quelques supporters des Bleus ont pris place, attendant le coup d’envoi d’Angleterre / Galles. Certains d’entre eux ont reconnu l’ancien deuxième ligne du Chardon. Ils lui lancent un clin d’oeil, se comparent à son immensité, grattent une photo. Doddie Weir dit alors que « Merle et Roumat mis à part », les Français ont toujours été adorables avec lui. « En 1993, on perd au Parc des Princes. A la sortie du banquet d’après-match, je vois six motos de policiers garées devant notre bus. Je m’approche de la première, grimpe à l’arrière et je dis au gars: « Tu m’emmènes où, camarade ? » Le mec s’est marré et a démarré. On a bu quatre pintes sur les Champs Elysées puis il m’a ramené à l’hôtel. Il ne parlait pas anglais et mon français se limitait à « bonjour », « merci ». Mais on a passé un moment extraordinaire, ce soir-là ». De 1990 à 2000, Doddie Weir a donc affronté neuf fois les Bleus. « Gagné trois, perdu six ». Il jure n’avoir rien oublié de la chistera de Gregor Townsend, qui permit aux Ecossais de mettre un terme, en 1995, à 25 ans de disette à Paris. Comme il se souvient parfaitement de Gavin Hastings, esseulé au banquet d’après-match et trahi par un traducteur nommé Damian Cronin, deuxième ligne des London Scottish, autoproclamé francophone: « Gavin avait sorti le speech classique, remerciant les Français pour leur accueil, les félicitant pour leur magnifique victoire et blablabla, blablabla… Puis Damian s’est saisi du micro pour traduire aux Français les mots de notre capitaine: « Gentlemen, je suis en retard parce que j’ai descendu quelques bières au bar de l’entrée. A cet instant précis, je préfèrerais certainement être avec ma femme mais on m’a demandé de parler, alors je vais vous raconter trois conneries avant d’aller rechercher le serveur… » Les Français étaient morts de rire ».

Le dernier voyage (intetritre)

Le temps du rire est interrompu par un soupir, précédant la seconde partie de l’interview. Il y a quatorze mois, un mèdecin a donc annoncé au géant de Galashiels qu’il souffait de la maladie de Charcot, une affection neurodégénérative ayant emporté avant lui Joost van der Westhuizen, le demi de mêlée des Springboks. « Sur le terrain, il fallait trois mecs pour l’attraper. A la fin de sa vie, il ne buvait plus seul ». Chez Doddie, les premiers symptômes sont apparus en novembre 2015. « Je me suis coincé le bras dans une porte. Je pensais que ce n’était rien ». Au fil des jours, le fermier des Borders perdait néanmoins en force. La poigne de sa main droite semblait faiblir, la peau de ses avants-bras était en permanence secouée par d’étranges frémissements. Deux mois d’examens médicaux (« C’est long, hein ? Je crois que les mèdecins ont eu du mal à trouver mon cerveau, lors du scanner… ») accouchaient finalement du terrible verdict, à propos duquel il écrira dans le Telegraph: « J’ai reçu des coups de coude de Martin Johnson, des coups de poing de Wade Dooley. Mais jusque-là, on ne m’avait jamais assommé comme l’a fait ce médecin… »). Dans le même temps, sa mère Nanny luttait contre un cancer, son fils aîné (Hamish, 16 ans) préparait des concours importantissimes et Doddie ne savait pas vraiment comment annoncer la nouvelle à son entourage. Le jour où il se décida à briser le silence, il réunit les garçons dans le salon de la maison familiale, à Galashiels: « Ils ont eu peur, c’est normal. Hamish a tout de suite cherché des infos sur internet. Il s’est vite rendu compte qu’il n’y avait rien à faire… Pour couper court à leurs pleurs, je leur ai annoncé qu’on partait dans quelques semaines en Nouvelle-Zélande pour la tournée des Lions ». La famille Weir resta plus d’un mois au bout d’un monde mais, passé l’extase d’un inoubliable voyage, le retour à la réalité fut difficile. Six mois plus tard, Doddie Weir est encore indépendant mais voit peu à peu son corps le trahir: « Je n’arrive plus à boutonner mes chemises et ne suis plus capable de porter une pinte de bière seul… Petit à petit, mes muscles disparaissent. Bientôt, je ne pourrai plus manger, boire, respirer ». De fait, la maladie de Charcot peut tuer en trois semaines comme en dix ans. « La moyenne se situe entre un et deux ans », coupe-t-il dans un haussement d’épaules. A cet instant là de l’interview, on doit tirer une tronche pas possible. Lorsqu’il s’en aperçoit, il éructe, faussement agressif: « Changeons de sujet ou on va tous chialer ! Je ne veux pas inspirer la pitié ! »

En croisade contre le système (intertitre)

Doddie Weir, marié à Kathy et père de trois adolescents (Hamish, Angus et Ben), sait que les jours sont comptés. Alors qu’on lui demande si la foi lui est d’un quelconque secours, il secoue la tête, nous rappelant par l’anecdote le seul échange qu’il ait jamais eu avec le Très Haut: « A 27 ans, j’ai eu un grave accident de la route. La voiture était brisée, j’étais dans un sale état. Dans mon demi coma, j’ai dit à Dieu: « Si tu as besoin d’un deuxième ligne, prends moi maintenant ». Il ne l’a pas fait ». Il marque une pause, reprend: « Je crois qu’il voulait que je devienne son chevalier contre la maladie de Charcot. Alors, je me bats contre cette saloperie. Je me bats contre le système ». Doddie Weir explique à présent que les laboratoires phramaceutiques ont stoppé depuis bien longtemps leurs recherches sur la maladie de Charcot. « Ils se disent: « à quoi bon chercher un médicament pour une affection ne touchant actuellement que 450 personnes au Royaume-Uni ? Quels seront les bénéfices, pour nous ? » Si je suis parti en croisade, c’est pour tenter de changer tout ça ». Via des dîners de charité, en mobilisant la famille du rugby et en lançant le « Doodie Gump », une communauté qui marche, court et combat pour lui, l’ancien deuxième ligne a récolté des centaines de milliers d’euros, destinés à aider une poignée de scientifiques indépendants dans leurs recherches. « Des enfants de l’école de Stow ont par exemple récolté 320 000 euros en vendant plus 15 000 boites de cookies dans leur région. Pour soutenir la cause, un homme a aussi couru 80 kilomètres entre l’Ecosse et l’Angleterre, un haggis (panse de brebis farcie) entre les pognes. Quant à John Beattie (le père du troisième ligne de l’Aviron bayonnais), il a récemment organisé un gigantesque concert à Edimbourg. Tout le monde se bouge. Et ça me touche ». Peu avant de dire au revoir, sa bouille ronde se fige dans un sourire d’une infinie tendresse. Il conclut: « L’énergie déployée m’aide à oublier que je ne verrai probablement pas mes garçons grandir, que je ne serai pas là pour debriefer leurs matchs de rugby, les serrer dans mes bras ou les mettre mal à l’aise devant leurs petites amies. Mais je n’ai aucune requête, aucun regret… »