Par Christian Jaurena

Débat à Graulhet, lundi 26 mars, au cinéma Le Vertigo, sur la transmission père-fils après la projection du documentaire de Guilhem Garrigues diffusé sur Canal + « La transmission : le rugby de père en fils ».

Guilhem, comment s’est construit ce documentaire magnifique ?

Guilhem Garrigues : merci. J’ai eu la chance d’être aux demi-finales à Marseille, pour Canal +, et d’y rencontrer par hasard Alain Penaud. On a déjeuné ensemble avan le match Racing-Clermont et j’ai senti beaucoup de pudeur et en même temps beaucoup de fierté de sa part vis-à-vis de la carrière de son fils. Je lui ai proposé de réaliser un reportage avec lui, si jamais Clermont se qualifiait pour la finale. Il m’a dit OK, si Damian est d’accord. En fait, les négociations ont duré quelques jours. Alain ne voulait pas perturber la préparation de son fils à la finale. On a donc commencé par cette scène où Alain craque dans les tribunes du Stade de France. Je pars de ça en me disant qu’il y a quelque chose à faire derrière. Ensuite, il a fallu faire des choix parce que ce genre de scène, on le vit tous les dimanches, sur tous les terrains, où il y a beaucoup de pères et fils. Je voulais d’autres cas différents, trois histoires différentes. Pour incarner une relation fusionnelle père-entraîneur, fils-joueur, j’avais le choix entre les Ntamack et les Roumat. J’ai demandé à Emile Ntamack ; il m’a répondu oui, si Romain est d’accord. Alexandre Roumat, lui, a décliné estimant qu’à peine arrivé à Bordeaux, il voulait d’abord y faire ses preuves. Après, je voulais une histoire où les deux jouaient dans le même club et où le père représentait une institution. Je voulais voir comment le fils avait grandi dans ces conditions. Et le choix des Erbani a été assez naturel. Dominique, un joueur de la grande époque du SUA, qui a disputé la finale de la première Coupe du monde au temps où le rugby était complétement amateur et Antoine, un joueur formé dans la ProD2 et dans l’ombre du père. 
Damian Penaud ne voulait pas parler de son père. J’ai eu du mal. Le tournage s’est fait pendant une semaine de Top 14… Au bout de 48 heures, je lui montre ces images de son père en larmes au Stade de France, que personne n’avait vues. Damian se fend d’émotion et, par pudeur, on n’a pas tout passé. J’aurais aussi voulu suivre Willy Taofifenua qui file d’un stade à l’autre pour voir ses deux fils jouer (l’un pour Bordeaux, l’autre pour Toulon). Il a fallu choisir. En revoyant ce film, quelques mois après, on s’aperçoit que l’actualité évolue vite : Guy Novès n’est plus sélectionneur, Damian a été longuement blessé et Antoine Erbani va quitter le SUA pour la Section Paloise…

Combien d’heures de tournage pour réaliser ce documentaire ?

Pour les 26 minutes que vous avez vues, on a du tourner une trentaine d’heures. Le but c’est d’avoir des séquences, des moments de vie. On ne sait jamais combien de temps ça va durer. A Toulouse, c’est quatre fois deux heures. Il y a aussi les heures passées à chercher dans les archives à regarder les anciens matches des pères. C’est du travail mais aussi du plaisir, surtout quand, par hasard, je tombe sur le plan du petit Romain sur les genoux d’Emile dans le vestiaire toulousain… 
La chaîne Canal a pour mission d’élargir le public du rugby. Dans ce reportage, on est dans le rugby que j’aime et qui peut accrocher ceux qui ne connaissent pas ce sport.

Emile, quand Guilhem vous a proposé ce sujet, comment avez-vous réagi ? 

Emile Ntamack : Déjà le fait que ce soit Guilhem qui propose le sujet, ça met en confiance. On est sûr que ça ne va pas être monté pour faire du buzz. Il y avait le problème d’emploi du temps de Romain qui devait passer son bac. Dans notre famille en tout cas, on a toujours vécu le rugby de façon simple ; c’était d’accompagner nos enfants dans leur passion, quelque soit le résultat. J’ai connu la même émotion qu’Alain pour la finale du Top 14, lors d’une finale de cadets. Ce n’est pas le niveau qui compte ; l’important, c’est l’épanouissement de nos fils, d’en être fier et de prendre du plaisir à les voir jouer. 

Avec le professionnalisme, peut-on craindre moins de filiations ?

Emile Ntamack : il y en a toujours eu et je pense qu’il y en aura toujours. Ce qui change c’est la médiatisation, aujourd’hui, on filme les moins de 20 ans. Le professionnalisme c’est aussi vivre de façon médiatique notre activité. Il faut le prendre avec décontraction en choisissant ce qu’on veut montrer et ne pas montrer. On a ce plaisir de partager notre passion avec nos enfants. C’est assez naturel, on reproduit ce qu’on a connu étant enfants. 

Emile, pouvez-vous imaginer Romain ailleurs qu’au Stade Toulousain ?

Emile Ntamack : Romain a grandi au Stade Toulousain ; ça m’aurait fait mal qu’il n’ait pas ce maillot pour son premier match en Top 14. Dans l’ère moderne, peu de joueurs réalisent leur carrière dans un même club. A l’époque, on parlait de mercenaires. Aujourd’hui, c’est un job et donc il faut aller où sont les intérêts du joueur, pas que financiers, aussi pour gagner du temps de jeu, se remettre en question. Mais le plus tard possible, j’espère…

Guilhem, n’avez-vous pas songé à mettre une fille dans votre sujet ?

Guilhem Guarrigues : j’avais imaginé d’intégrer la relation entre Christophe Deylaud et sa fille qui joue à Blagnac. Ç’aurait été intéressant. Mais Canal Plus n’a pas les droits du Top 8. Mais oui, il y a de belles histoires à raconter avec les filles aussi.

Emile, on vous voit tellement fusionnel en tant qu’expert de rugby. Est-ce que ça ne va pas au détriment du rôle de l’entraîneur de Romain ?

Emile Ntamack : je ne vais pas contre la vision stratégique de son entraîneur. Mais je lui donne mon ressenti. Il a besoin du regard de son papa parce qu’il sait que ça sera franc. De savoir ce qu’il a fait de bien, ce qu’il aurait pu mieux faire. Il y a aussi, peut-être, beaucoup d’exigence de ma part. Quand des jeunes viennent me voir en me confiant leur ambition, je leur réponds que c’est possible mais qu’il y aura beaucoup d’exigence. Il ne faut pas oublier qu’il y a beaucoup de travail avant la réussite. Romain l’a su très vite. Et il sait que j’irai toujours chercher un peu plus…

De nombreux pères et fils, anciens ou joueurs du SC Graulhet rejoignent alors Emile Ntamack et Guilhem Garrigues sur scène. Ils sont également accompagnés de Jean-Pierre et Jean-Marc Aué (ancien international, entraîneur de Graulhet) qui prennent le micro en premier :

Jean-Marc Aué (fils de Jean-Pierre): Le film que nous venons de voir est une belle histoire d’émotions et de transmission qui me rappelle la mienne et celle de tant d’autres. J’ai beaucoup de fierté d’être le fils de . Mon fils joue aussi et c’est la quatrième génération. On s’est transmis beaucoup de passion, d’amour et de pudeur. Il n’y a pas de concurrence avec le père. On prend l’expérience de l’ancien pour nous ouvrir la voie. J’ai connu les deux rugbys pro et amateur. On était pas toujours d’accord avec mon père : je lui disais que c’était le rugby pro. Mais c’est une belle histoire de tradition et d’émotion. C’est aussi la vie. Il n’y a pas que des moments faciles. Mon père ne m’a jamais dit que j’étais bon alors que j’étais mauvais. 

Jean-Pierre Aué : je suis dans une position difficile, car j’étais le fils de mon père et j’ai été le père de mon fils et, maintenant, le grand-père de mon petit-fils, Jean-Marc qui joue en junior à Gaillac. Concernant la famille Aué, il y a toujours de la fierté. Mon père a été champion de France en 1951 avec Carmaux. Moi et mon frère on a été champions de France en 2e division en 1972 et Jean-Marc l’a été après en juniors Balandrade. Regardez vos archives mais trois générations championnes de France dans le même club, il ne doit pas y en avoir beaucoup, même si on a du descendre de catégorie à chaque génération… 
Jean-Marc a été le fils que j’aurais aimé avoir tant au niveau caractère que rugbystique. J’ai aussi deux filles et une femme, leur maman à tous les trois. Mais, c’est bizarre, quand il y a une victoire dans la famille, je suis content et, quand il y a une défaite, la semaine n’est pas bonne. Je vous raconte une anecdote : en 1990, Jean-Marc a joué à 19 ans, un quart de finale contre Agen à Dax. Il a marqué trois essais, pas d’anthologie mais des essais quand même. C’était magnifique mais j’ai pleuré tout le trajet du retour parce que mon père était décédé dans la semaine et que je ne pouvais pas partager ça avec lui. Je vous passe la suite de sa carrière, sa sélection en équipe de France pour vous raconter une histoire toute récente, d’il y a quinze jours. Graulhet jouait contre Gaillac mais moi, je suis impliqué au club de Carmaux, en promotion d’honneur, et un sponsor, un ami, venait ce jour-là. Je n’ai donc pas pu aller voir Graulhet. A la fin du match, on avait gagné et tout le monde me demandait ce qu’avait fait Graulhet… Jusqu’à ce que ma belle-fille me fasse signe que c’était gagné aussi. Alors je suis reparti pleurer un quart d’heure… 

Jules Montels : j’ai reconnu dans le reportage et les commentaires le lien qui m’unit à mon père. A Graulhet, 90% des joueurs ont été initiés au jeu par un parent. On en parle ou pas, toujours avec beaucoup de pudeur, mais on se comprend. Il y a toujours la fierté de représenter l’institution et la volonté de faire plaisir aux aînés.
Hugo Gély, fils de Renaud : pareil quatre générations qui se suivent. Dommage que mon grand-père ne soit pas là, mais je vous rassure : il est à la maison. Il y a aussi Benoît, mon oncle. J’ai pris l’expérience du grand-père, du père, de l’oncle. On en rigole et on s’engueule parfois à la maison avec les vidéos. Mais j’espère avoir une aussi belle carrière que les « vieux », comme on les appelle, qui nous soutiennent quoiqu’il arrive.

Julien Pauthe : Il y a toujours eu un Pauthe à Graulhet. Je n’ai pas trop vu jouer mon père mais on ressent ça dans le reportage. On me parlait beaucoup de mon père. On travaillait ensemble mais, le lundi matin, quand on avait perdu, on ne se parlait pas trop mais on se comprenait. Très joli documentaire, à refaire avec la fédérale.
Philippe Garrigues : Nous, on n’a que deux générations, mon père et moi. Mais je me suis bien reconnu dans le reportage. Je suis fier quand on me compare à mon père mais je vais quand même essayer de le dépasser…

Eric Montels : j’ai deux fils. Et une fille qui joue au basket. Il faut se partager. Peu importe le niveau de jeu, ce qui compte, c’est le plaisir des enfants…. Le bonheur est sur le pré. Ou, juste après, au bar. Mais ça fait partie du rugby.

Benoit Bellot : je suis la tare de la soirée car mes trois enfants jouent au foot. J’ai eu la chance de voir mon père évoluer. J’ai eu la chance, ou pas, de l’avoir comme entraîneur. J’ai vu à la maison ce qu’était la passion du rugby. Le magnétoscope en avant, en arrière. Après être parti jouer à l’USAP, j’ai eu la chance de revenir au club, de l’entraîner. Je suis mon neveu qui lui joue au SC Graulhet.

Pierre-Jean Pauthe : ç’a été évoqué dans le reportage mais c’est vrai qu’on ne se parlait pas beaucoup avec mon père. Un regard suffisait ; il y avait tout dedans. Surtout juste avant le match. J’ai arrêté vite de jouer mais depuis que Julien joue j’ai l’impression d’avoir repris. Il a fait quelques sélections, des clubs ont essayé de l’attirer. J’ai toujours été derrière lui, sa mère et sa sœur aussi. On a vécu des moments émouvants. Y’a pas qu’à Carmaux que coulent les larmes.