Débats – Festival Rugb’images 2018

 

Débat : Le XV de France, jugé par ses anciens capitaines

Festival Rugbimages du 20 au 29 mars

Quelque 250 personnes ont assisté, lundi soir à la Maison des Sports d’Albi, au débat du Festival Rugbimages. A la tribune ont pris place, par ordre d’apparition en équipe de France, quatre anciens capitaines des Bleus : Jean Fabre, Richard Astre, Abdel Benazzi et Fabien Pelous. La (belle) surprise est venue de Gaëlle Hermet, toute jeune (21 ans) capitaine des Bleues qui viennent de réaliser le Grand Chelem. L’équipe du Festival a demandé à Henri Nayrou (ancien « boss » de Midi-Olympique) et à Jean-Pierre Dorian (actuel patron de la rédaction de Sud-Ouest) d’interroger ces personnalités pour tirer le bilan du récent Tournoi des 6 Nations. En voici les temps forts.

Que retenez-vous de ce Tournoi, globalement ?

Gaëlle Hermet : Pour moi, ce capitanat, ce Grand Chelem, c’est tout nouveau. Je ne réalise pas encore. On a construit sur la force du groupe. On s’est surnommé « les affamées ». On n’a rien lâché et on est resté humbles.

Abdel Benazzi : l’équipe de France (masculine) est monté crescendo, même si elle a eu des fins de matches fatales, comme au Pays de Galles. Il y a eu de la continuité dans l’engagement, mais aussi dans le mauvais coaching avec les demis.

Richard Astre : on a remis l’agressivité au cœur du match. Maintenant, il va falloir y apporter la sérénité et la maîtrise.

Jean Fabre : au niveau comptable, le bilan n’est pas meilleur que l’an dernier, avec trois matches à domicile. L’équipe avait perdu sa confiance et Brunel a bâti une équipe un peu commando. Il faut voir l’opinion que cette équipe avait d’elle-même dans la démesure de son effusion à célébrer la victoire contre les Anglais. On a retrouvé une âme mais les problèmes restent. Toute l’organisation du rugby doit aller dans le sens de l’équipe de France. Et puis, je voudrais dire aussi que ce qui m’a choqué, c’est de voir le maillot de l’équipe de France avec une publicité du groupe Altrad (applaudissements)…

Sur l’éviction de Guy Novès avant le Tournoi ?

Pelous : Le connaissant bien, je ne pouvais pas soupçonner que l’équipe soit fade avec Novès. Je ne me l’explique pas. Ce n’est pas le meilleur technicien que j’ai connu mais le meilleur dans son rôle de manager pour mettre les joueurs en condition de tout donner pour l’équipe. Brunel s’est positionné en antithèse. Il est dans la connivence avec les joueurs pour en tirer le meilleur parti. Ça marche aussi.

Benazzi : Avant Novès, l’équipe de France était sans projet depuis des années. Ç’a été une décision politique de l’écarter. Ça ne remet pas en cause ce qu’a été Guy Novès ni ce qu’il n’a pas eu le temps de construire. C’est lié à la personnalité de Laporte qui réagit parfois vivement comme ça se fait de plus en plus, aussi, dans le Top 14

Fabre : Il ne faut pas comparer les individus. Novès et Brunel sont deux hommes remarquables. Comparons les projets. Avec Novès, on parlait de jeu de mouvement et les joueurs ont oublié le combat. Le drame, c’est comme en Top 14, c’est qu’il faut gagner tout de suite alors qu’il faudrait d’abord bâtir un projet de jeu, prendre les joueurs adaptés à ce projet et laisser le temps au temps… On arrête l’explication de l’échec à l’entraîneur mais il y a tout un système. J’ai toujours mis des doutes dans le maintien de Novès quand Laporte est arrivé. On ne peut pas fonctionner avec un président et un entraîneur qui ne tirent pas dans le même sens. En Afrique du Sud, Novès s’est senti seul, il me l’a dit.

Le Top 14 affaiblit-il le XV de France ?

Pelous : sur certains postes oui. Pilier droit, ouverture… On doit plaider tous coupables. On n’a jamais eu un 10 comme joueur emblématique de sa génération. Mais là où on a le plus perdu, c’est dans le leadership des joueurs français. Beaucoup d’étrangers sont les leaders de jeu, de touche, de leur club. A tous les postes on manque de joueurs leaders. Quand on dit qu’on a une équipe fade, sans âme, on dit qu’elle manque de leader.

Astre : Les Blacks ont développé le leadership et les nouveaux arrivants sont entourés par des papas. Entre l’équipe de France et les All Blacks, il y a une grande différence de critères de sélection. Chez les Blacks, on juge d’abord la capacité à s’intégrer au groupe avant de penser aux systèmes de jeu.

Benazzi : On a deux institutions qui ne marchent pas ensemble. En Angleterre, j’y jouais à l’époque, tout a été organisé deux ans avant pour que l’Angleterre soit championne du monde (en 2003). Ils continuent à fonctionner sur ce modèle. En France, il n’y a aucune relation des clubs avec équipe nationale et aucune solidarité entre eux. L’équipe actuelle à la FFR voulait absorber la Ligue à son arrivée…

Pelous : En Angleterre, il y a 12 clubs et environ 450 joueurs pro. En France deux voire trois divisions entre 35 et 40 clubs et environ 1300 pro. Il y a à peu près 200 joueur pro dans les autres nations de l’hémisphère sud, en Irlande ou au Pays de Galles, deux clubs en Ecosse… On n’a pas la même conception du rugby pro que les autres…. Mais en a-t-on les moyens ?

Fabre : Il faut définir une priorité. Si c’est l’équipe de France, il faut s’organiser en conséquence. Ce n’est pas, hélas, ce qu’on a fait en France, quand est arrivé le professionnalisme.

Gaëlle Hermet : Chez les filles, nous n’avons pas ces problèmes. Moi, je suis encore étudiante. On est totalement amateur. Des filles sont sous contrat fédéral à VII. Les Néo-Zélandaises et Anglaises sont déjà pro. Ça viendra chez nous aussi mais je ne sais pas quand. On concilie vie active et sport.

Brunel a-t-il fait une erreur en sortant Machenaud ?

Astre : Contre l’Irlande, Dupont sort sur commotion et Machenaud revient mais ne tape pas la pénalité qui aurait pu être décisive. A Cardiff, il sort encore et c’est Trinh-Duc qui rate… Alors oui, Machenaud aurait du taper ces deux pénalités. Mais je voudrais débattre sur comment on choisit les joueurs en fonction de leur poste. Pour moi, c’est une aberration que le demi de mêlée bute. Cet arrêt de jeu, c’est l’occasion de donner des consignes, de rassurer les partenaires. On détourne la véritable fonction du demi de mêlée. La force d’un neuf, c’est de voir qu’un pilier boîte. Et en plus s’il rate son tir, il perd sa concentration. Quand on voit des 9 plonger dans regroupement et des gars de 2m qui attendent au large… Ce n’est plus le rugby.

Pelous : ce qui est sûr c’est qu’on forme nos 9 à être buteur.

Astre : c’est une hérésie ! Dans la culture du rugby français, on a construit des demis transmetteurs qui n’utilisaient jamais le jeu au pied. Les arrières Papillon Lacaze et Pierre Villepreux ont créé le décalage sur les extérieurs. Pour les Français, c’est ça le bien jouer. On a dévalorisé les postes et les demis français ne sont pas des stratèges comme ailleurs.

Avec qui partir en Tournée ?

Benazzi : cette tournée est une aberration. Trois tests en Nouvelle-Zélande avec des joueurs lessivés à la fin d’une saison épuisante. On va prendre une raclée. Il faut trouver d’autres solutions. Même s’il y a des retours ce sera compliqué de rivaliser. Je crains les soixante points, on est convalescents. Et après, même le public néo-zélandais y perdra de l’intérêt.

Pelous : il y a d’autre façon de mener une économie équitable entre Nord et Sud. World Rugby réfléchit à une seule période de Tournée dans l’année en novembre décembre une année sur deux dans chaque hémisphère. Tel qu’il est organisé, le rugby gêne surtout la France, pas trop les autres nations.

Bastareaud capitaine ?

Pelous : Mathieu a fait un Tournoi de très belle facture sur le plan sportif. Il est entré dans le terrain médiatique par une porte dérobée. Longtemps connoté comme joueur turbulent, seulement physico-physique. En plus en venant de banlieue dans un monde du rugby très traditionnaliste. Il s’est fait sa place désormais.

Benazzi : la meilleure des choses c’est de l’avoir responsabilisé. Le fait d’être capitaine à Toulon, l’a révélé. Tout dépend qui joue à ses côtés, il lui faut un centre complémentaire. Il faut l’encadrer pour qu’il se sente concerné par le projet.

D’autres satisfactions individuelles ?

Benazzi : J’ai beaucoup aimé abattage de Camara. Il a 23 ans mais prend des initiatives. Pélissié aussi

Astre : Vahamina a fait, sur la continuité, des performances de très haut niveau.

Pelous : on a pléthore de talonneurs : Chat, Marchand, Bourgarit… En neuf aussi. Tous avec des profils différents. Et selon qui tu choisis, tu décides de jouer différemment.

Benazzi : pour en revenir au 10, je pense que Morgan Parra devrait terminer sa carrière en 10.

Morgan Parra en 10 ?

Astre : Quand ils ont vu que Lièvremont le mettait à l’ouverture pour la finale de 2011, les Néo-Zélandais ont eu très peur, chez eux, de ne pas être champions du monde. Ils l’ont ciblé d’entrée. Je le dis aussi à Jean-Pierre Romeu (Clermont) qu’ils font une erreur de ne pas le mettre à l’ouverture.

Guirado est-il le seul leader ?

Fabre : il y a des leaders. J’ai vu Trinh-Duc rameuter ses joueurs. Un leader a une action sur le terrain mais aussi en dehors. Le capitaine doit être fédérateur, faire le lien avec l’entraîneur, voire le président.

Pelous : un leader ça se forme aussi. Plusieurs leaderships sont nécessaires et chacun peut prendre sa partie. Le leadership de soirée est important aussi, avec ou sans modération. Dans notre formation on passe beaucoup de temps dans la salle de musculation et à la répétition de gestes techniques, mais il va falloir en passer dans la formation du leadership. Quitte à rater une passe de temps en temps.

Astre : la difficulté du capitanat c’est dans un match éliminatoire. Il doit veiller à ce que l’extérieur ne vienne pas anéantir ce qu’on a préparé. Le rôle du capitaine est renforcé. Il y a celui qui harangue et celui qui sait calmer. A Béziers, on avait la règle des 3 P : pousser, plaquer, progresser. Des choses simples, au capitaine de les rappeler dans les moments de doute.

Hermet : c’était la première fois que j’étais capitaine avec des joueuses qui ont 50 caps. J’ai été épaulée. Je me sens plus capitaine de jeu. Pas de soirée (rires). Le capitanat c’est un rôle très important dans une équipe. Je le prends à cœur et je compte amener l’’équipe le plus loin possible. Le staff m’aide énormément. Et des partenaires sur et en dehors du terrain.

Benazzi : on a senti Guirado lassé, pas respecté. Par moments seul. L’équipe a beaucoup tourné autour de lui ce qui empêche émergence d’autres leaders. On l’a senti en plein doute, après deux ans de défaites. J’ai beaucoup de respect pour lui. On ne peut pas dire qu’il sera capitaine jusqu’en 2019 mais commençons par monter une équipe stable autour de lui.

Pelous : on voit les jeunes. Camara, Dupond se sont affirmé. Une première ligne jeune, à part à droite, un poste où on est en difficulté même chez les jeunes. Mais ailleurs, on en a autant que les autres. On a vanté Itoje comme le meilleur joueur du monde. Qu’est-ce que Camarra a de moins que lui. Même en 2e ligne, il aurait la même activité. Il faut être fier de notre formation ! Je veux rester positif, je suis sûr que Guirado va mener cette équipe jusqu’au Mondial 2019. Il y a des signes positifs qui montrent qu’on peut être performant jusqu’à la Coupe du monde.

Le prochain débat du Festival Rugbimages se déroulera vendredi 23 mars à la Halle aux Grains de Lavaur. Il aura pour thème « le rugby en état de choc » (protocole commotion, règles du plaquage, déblayage…)

Tout le programme du Festival (du 19 au 29 mars) est consultable sur www.rugbimages.com

Débat commotions : Le rugby en état de choc

A Lavaur, où s’est poursuivi le Festival Rugb’images (du 19 au 29 mars), s’est tenu vendredi dernier, un débat sur les risques de commotion cérébrale et les moyens de prévention mis en place conjointement par la FFR et la LNR.

Intervenants : David Brauge (neurochirurgien au CHU Purpan de Toulouse), Bernard Vaur (président de la commission médicale de la Ligue Occitanie de rugby), Maxime Villalongue (ancien joueur victime de graves commotions ayant du renoncer au rugby), Léo Durand (n°8 et grand espoir de Lavaur).

Animatrice : Dominique Issartel (journaliste à L’Equipe) qui pose la première question : « qu’est-ce qu’une commotion cérébrale ? »

David Brauge : une commotion cérébrale c’est un choc à la tête avec soit un impact direct (coup) ou un choc indirect (par exemple un accident de forte décélération). Apparaissent dans les instants qui suivent des signes neurologiques qui indiquent que l’onde de choc ne s’est pas arrêtée au crâne mais a été transmise à la masse cérébrale. On observe un trouble fonctionnel du cerveau. Il y a souvent perte de connaissance mais pas toujours ; cela peut aussi se manifester par un trouble de l’équilibre provisoire (titubation), une envie de vomir, une crise d’épilepsie, la personne qui tombe avec les deux membres supérieurs qui s’étendent…

Dans les jours qui suivent, tout un tas de symptômes, qualifiés de « syndromes commotionnels », attestent que le cerveau récupère de cet événement. Il faut 8 à 10 jours pour la plupart des cas habituels.

Depuis 2012, avec l’instauration du protocole, on est passé d’une cinquantaine de commotions à une centaine par an. Le rugby est-il particulièrement dangereux ?

Bernard Vaur : il ne faut pas dramatiser. J’ai vu trois matches de foot récemment avec trois commotions cérébrales. Le rugby est un sport de combat. Le nombre a augmenté par rapport au temps où je pratiquais même s’il n’y a plus de bagarres générales. Les modifications de règles ont fait qu’il y a d’autres types de commotions surtout chez les professionnels avec des joueurs body-buildés. Je pense aussi que la mise en place du protocole a augmenté le nombre de commotions parce qu’avant, on ne les relevait pas.

Maxime Villalongue : aujourd’hui les séquelles sont plus importantes.

En 2005, première années du Top 14, il y avait 26 joueurs de plus 120 kg, aujourd’hui plus d’une centaine…

David Brauge : les médias entretiennent la confusion entre évolutions dans les rugbys pro et amateur. Je ne crois pas qu’il y ait grande différence chez les amateurs avec ce qui se passait il y a 20 ans. Chez les pros, c’est évident que ç’a augmenté. La commotion cérébrale c’est la blessure du défenseur : le plaqueur qui prend le genou dans la tête (souvent les n°10 et n°12). Ce n’est pas la blessure du ruck malgré l’énergie cinétique qui y est engagée.

Les statistiques révèlent que les postes les plus exposés aux commotions sont le n°10 et le n°2. A propos des amateurs, plus de 1800 commotions ont été recensées l’an dernier par la FFR. Chez les amateurs, pas de médecins, pas de protocoles. Comment les protéger ?

Bernard Vaur : je vais voir matches cadets juniors, il n’y a pas plus de commotions que quand je jouais, il y a très longtemps. Le gros problème du rugby, alors, c’était les fractures cervicales. Des joueurs de première lignes en sont morts… Les règles ont changé pour contrer ça. La modification des règles fait qu’il y a plus de rucks et de plaquages hauts : seul moyen de récupérer ballon. Avant, on ne plaquait pas à deux. Ça fait que la tête est plus exposée.

Peut-on revenir en arrière sur les règles ?

Léo Durand : le plaquage haut, on pourrait le baisser. Ce n’est pas dans les rucks qu’on voit le plus de ko.

David Brauge : le premier point c’est ce qu’on fait ce soir : de l’information auprès du public. Si ça se passe loin du médecin, le spectateur peut intervenir, en prévenant qu’un joueur a subi une commotion. On en parle beaucoup avec la Direction technique nationale. On réfléchit aussi à changer les règles et à améliorer la technique du plaquage. C’est souvent la tête du plaqueur qui est mal positionnée qui trinque. Autre axe de prévention, c’est le carton bleu chez les amateurs qui donne pouvoir à l’arbitre de sortir un joueur dès qu’il a un doute. Autre élément qu’on essaye de mettre en place c’est qu’un joueur commotionné ne peut revenir à l’entraînement qu’après avoir reçu feu vert de son médecin généraliste. On va proposer des formations aux généralistes en Occitanie sur la commotion cérébrale. D’autres fédérations vont s’associer

Peut-on informer les joueurs ? Tous les commotionnés racontent qu’ils n’étaient pas au courant.

Bernard Vaur : amener les gens à consulter, c’est bien. Mais il faut informer ceux qui sont autour du commotionné. Il faut surtout informer l’encadrement. Le commotionné ne va pas forcément bien réagir.

Maxime Villalongue : au-delà de l’encadrement des clubs, il faut surtout informer les parents et la famille proche. Il y a eu récemment un cas à Paris, où un gars a pris un choc le dimanche en match. Il ne se sent pas bien mais continue à jouer. Le mardi, il retourne à l’entraînement et reprend un choc. Le mercredi, il est barbouillé, il vomit un peu ; sa mère croit à une gastro. Le vendredi il ne se sent pas mieux et ne va pas boire une bière avec les copains après l’entraînement. Le dimanche il joue, prend un choc et se retrouve dans le coma pendant deux mois et demi. Si sa mère ou sa copine avait décelé ces symptômes, il n’aurait pas joué ce match. Il va mieux, mais il a failli y passer.

Quels sont les signaux d’alerte pour une commotion ?

David Brauge : il y a 22 signes décrits après une commotion. Même une même personne qui fait deux commotions dans sa vie n’aura pas forcément les mêmes symptômes les deux fois. Si, après un traumatisme crânien, le sujet a mal à la tête, est agressif ou triste, s’il vomit…, ça c’est du ressort de la famille. On réfléchit, au niveau amateur, à envoyer un mail à toutes les familles de commotionnés recensant les 22 signes post-commotion. Et, si l’état s’aggrave, d’aller vite à l’hôpital. Je voudrais demander à Léo, comment s’est passée la commotion dont il a été victime…

Léo Durand : j’avais 16 ans en cadet ; j’ai pris choc à la tête et, après, je faisais n’importe quoi avec le ballon, l’entraîneur m’a sorti. Il n’y avait pas de médecin avec nous. La nuit d’après, j’ai bien dormi et quinze jours après, j’ai repris

David Brauge : pas besoin d’hôpital forcément, le repos est le meilleur des remèdes. En revanche, on Interdit de laisser seul un jeune joueur après commotion ; une jeune de moins 18 ans qui prend une commotion doit s’arrêter trois semaines (deux chez les séniors).

Parce que les risques sont décuplés en cas de deuxième impact ?

David Brauge : on appelle ça le syndrome du deuxième impact avec deux commotions d’affilée. La seconde a des effets beaucoup plus importants sur le cerveau que ne le laisse préjuger la force de l’impact. Ce qu’on sait c’est que, presque tous les cas rapportés concernent des jeunes de moins de 20 ans. Ce dont on est sûr, c’est que c’est très grave car le taux de mortalité est de 50% et le taux de séquelles neurologiques c’est 100%. C’est pour ça qu’on est très stricts sur les mineurs. A World Rugby on envisage de monter à 19 ans, l’interdiction de reprendre avant trois semaines… Parce que les jeunes sont particulièrement plus à risque.

Bernard Vaur : en commission médicale on a envisagé de faire un passeport comme au judo, pour noter les traumatismes, sur lequel on devrait inscrire les commotions et les dates de reprise.

David Brauge : le maximum dans les cas reportés de deuxième impact, c’est quatre semaines. On parle d’une centaine de cas dans le monde ; ça reste très rare mais il faut respecter ces temps de repos.

On voit souvent des joueurs tituber en quittant le terrain et y revenir après avoir subi le test commotion…

Bernard Vaur : ça, on peut très bien décider, au niveau Top 14, que tout joueur commotionné ne revient pas, sans passer de test. Là on a étendu à 10 minutes le temps avant de pouvoir revenir sur le terrain. Le coaching a modifié la donne. Avant, si on sortait, on laissait les copains à 14. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup d’irresponsables pour renvoyer des joueurs commotionnés sur le terrain. Le risque, c’est qu’on passe à côté, que la commotion ne soit pas vue…

En Top 14, les chiffres disent que 30% des joueurs déclarés commotionnés le lundi, sont revenus sur le terrain au cours du match du week-end précédent après avoir passé le test…

David Brauge : le diagnostic est spécifique au rugby pro. Chez les amateurs, le joueur suspect sort. Chez les pros, le protocole commotion c’est pour les situations pas claires, quand le médecin, au bord du terrain avec sa tablette, ne sait pas. Le test est le même pour tous en Top14 et ProD2. On fait passer au joueur un mini test de QI, d’équilibre, de mémoire et de coordination. Le test ne doit pas prendre moins de dix minutes disent les recommandations internationales. Au rugby c’est 10’ max. Le protocole prévoit trois temps : au sortir du terrain, quatre heures après, et deux jours après. Parce que la commotion peut être évolutive. Ça m’est arrivé de décréter commotionné le lundi, un joueur qui avait repris le match le samedi. Le test actuel n’est pas fiable à 100% et ce qu’on fait aujourd’hui, ce n’est pas ce qu’on fera dans dix ans mais c’est mieux que ce qu’on faisait il y a dix ans.

Pensez-vous que la courbe des commotions va s’inverser ?

David Brauge : j’ai l’impression qu’il y a de plus en plus de blessés, et donc, sûrement, plus de commotionnés. Mais j’ai bon espoir que cette courbe se stabilise quand aura affiné prévention et tests. Je m’appuie sur ce qui s’est passé il y a quelques années avec les cas de tétraplégie. Aujourd’hui on a presque réduit ces accidents à zéro.

Que dîtes-vous aux parents qui ont peur de laisser leur enfant jouer au rugby ?

Bernard Vaur : encore une fois : ne pas dramatiser. On peut ne plus conduire parce qu’il y a des accidents de la route, ne plus boire, ne plus manger, ne plus baiser… On peut ainsi avoir une vie plus longue mais elle risque d’être ennuyeuse. Ça ne nous empêche pas d’améliorer la surveillance, l’information et la technique de plaquage…

David Brauge : la grosse question c’est les séquelles après commotions. Les Américains ont appelé ça le « punch drunk » parce que des anciens boxeurs se comportaient comme des alcooliques avec le cerveau abimé. Dans la boîte crânienne de ces gens-là, on a trouvé des lésions. On a défini une nouvelle maladie qu’on a appelée « encéphalopathie post traumatique ». Un faisceau d’arguments fait suspecter lien avec des commotions répétées, même si le lien n’est pas prouvé. La première étude analyse les fiches de sécurité sociale chez les anciens joueurs de foot américain pour voir de quoi ils souffraient ; ils ont un taux de mortalité par maladie neuro dégénératives trois fois supérieur à la moyenne de la population nationale. Mais ils sont en meilleure santé que le reste de la population et ils vivent plus vieux.

Deuxièmement, à Boston, on a créé une banque de cerveaux d’anciens athlètes. L’institut encourage les anciens joueurs à faire don de leur cerveau à la science. Ils ont aujourd’hui plus de 300 cerveaux et 80% de ceux qui ont été analysés ont révélé une encéphalopathie. Mais ceux qui donnent leur cerveau souffrent souvent de maladies neurologiques (signes de démences, dépressifs). Ce 80% ne représente pas toute la population mais 80% de ceux qui ont donné leur cerveau.

Maxime, pouvez-vous nous raconter ce qui vous est arrivé ?

Maxime Villalongue : en préambule, je veux souligner que je reste à fond derrière le rugby et que j’aimerais que mon fils y joue plus tard. Mais il faut prendre au sérieux les commotions et leurs séquelles. Moi, depuis un an, j’ai du réapprendre à marcher, à parler, comme si j’étais un enfant. J’ai encore des problèmes d’élocution, de coordination et d’équilibre. Mais il faut que chaque joueur soit formé pour prendre au sérieux les signes de commotion ; comme c’est invisible, on essaye de le cacher pour rester sur le terrain. Quand on a mal au genou, on consulte et là c’est pareil : va voir un médecin quand tu as pris un coup sur la tête !

Léo, est-ce que ça vous fait peur, en tant que joueur ?

Léo Durand : oui ça fait peur les commotions. Maxime a entièrement raison, il faut informer les joueurs mais aussi leurs familles.

Est-ce que le casque est utile contre les commotions ?

David Brauge : le casque n’a pas d’effet, disent la majorité des médecins. Parce qu’il n’y a pas d’étude qui le prouve. A titre personnel, je ne suis pas d’accord, charge à moi de le prouver. Cet argument anti-casque vient de la levée de l’inhibition : quand on a un casque, on fonce la tête la première… Au rugby, je le conseille. Il y a des joueurs très connus que vous voyez porter un casque désormais parce que je les voyais un peu trop souvent en consultation.

Bernard Vaur : le casque est déjà efficace contre les coupures.

Léo Durand : j’ai un casque depuis que j’ai 8 ans. Et si je devais joueur sans, ça serait pratiquement impossible. Je n’arriverais pas à plaquer, je serais vraiment sur la retenue. C’est vrai qu’avec un casque, je me sens protégé.

David Brauge : le football aussi est énormément touché. Les coups de tête sur le ballon, c’est autre chose. Peut-être que dans 15 ans on parlera de ces impacts-là. Pour l’instant on est sur les commotions du rugby.

On voit aussi des joueurs, coudes en avant, qui donnent des commotions… Il y aussi les plaquages où on retourne l’adversaire, souvent à deux. N’y-a-t-il pas une responsabilité dans l’encadrement au sens large ?

Maxime Villalongue : en Fédérale 2, je n’ai pas souvenir qu’on m’ait parlé de ça. Chez les Espoirs du Racing on était sensibilisé sur les plaquages dangereux, pas particulièrement sur les coudes en avant, même si on savait que c’était interdit et dangereux.

Les terrains synthétiques ne risquent-ils pas d’aggraver le problème ?

Bernard Vaur : les terrains synthétiques sont plus durs et occasionnent donc des chocs au sol plus importants. Mais je pense qu’ils augmentent plus les risques au niveau des articulations, parce que les appuis sont différents, que pour les commotions.

Y-a-t-il des examens sur les joueurs n’ayant pas subi de commotions mais pouvant être à risque ?

David Brauge : Encore une fois, il y a les professionnels et le reste du monde. Les premiers, depuis 2012, passent un bilan neurologique de présaison. Il faut des valeurs de base pour une personne donnée qu’on comparera ensuite à celles relevées durant son protocole commotion. Pour les amateurs, on essaye de mettre en place l’obligation de passer voir le médecin avant la reprise. Le problème, c’est la formation des généralistes. On va essayer d’y parvenir pour isoler les rares cas problématiques.

M. Brauge, basé au CHU de Toulouse, vous êtes tout près de nombreux terrains d’équipes professionnelles. Est-ce que les joueurs qu’on voit sortir du terrain le week-end passent dans votre cabinet le lundi ?

David Brauge : Oui, sur Toulouse on couvre le Stade Toulousain, Colomiers, Montauban, Carcassonne et Castres. Avec aussi leurs équipes espoirs ; ça fait donc du monde. En moyenne, on a un ou deux joueurs chaque lundi à notre consultation.

Jo Dalla Riva, adjoint aux Sports à la mairie de Lavaur et ancien joueur de Carmaux intervient alors :

Jo Dalla Riva : je vais vous raconter ce qui s’est passé lors d’un match que j’ai joué avec Carmaux, contre Brive, il y a quarante ans. Je pense que si on avait été sensibilisé et informé comme vous le faîtes maintenant, ça ne se serait pas passé du tout pareil. Dans un premier temps, mon partenaire, Michel Albinet plaque Besson, un joueur de Brive. Il se relève mal, on le soigne et il continue. Plus tard, sur une chandelle de Jean-Pierre Romeu, il récupère le ballon et marque un essai. On est tous autour de lui pour le féliciter et il nous repousse en criant « ne me touchez pas, j’ai mal à la tête ! ». Et il continue à jouer. A dix minutes de la fin du match, les Brivistes tapent une chandelle et, à la réception, éclate une bagarre générale. Là, Michel prend un dernier coup et s’effondre. Il va faire une vingtaine de jours de coma et sera handicapé à 80%. Il l’est encore aujourd’hui, quarante ans après. Alors, quand vous parlez comme ce soir, ça me marque. Si on avait su, alors, Michel n’aurait pas passé sa vie dans cet état. Heureusement que vous existez, continuez…

Le festival Rugb’Images se poursuit jusqu’au jeudi 29 mars. Retrouvez son programme complet sur le site www.rugbimages.com

Débat : Troisièmes mi-temps d’hier et d’aujourd’hui

Quoi ? Débat du Festival Rugbi’images

Où ? A l’Imagin’Cinéma de Gaillac

Quand ? Mardi 27 mars

Ce débat est né d’une rencontre avec le journaliste Jean-Christophe Colin, à l’automne dernier, qui était en train de préparer un film pour la chaîne L’Equipe TV. Ironie du sport, il était programmé pour la veille d’Ecosse-France et devait traiter du rugby et la nuit et poser la question : la 3e mi-temps est-elle condamnée dans ce nouveau monde avec rugbymen hyper-professionnels et réseaux sociaux ultra-cafardeurs ? Finalement, le tournage a été interrompu après des premières images filmées à Paris pendant la « Nuit du Rugby » et au « Pousse au crime », haut lieu des nuits rugbystiques de la capitale. Mais, comme le Festival Rugb’images l’avait lui aussi inscrit dans sa programmation, le débat a été maintenu, sans le film, avec un casting de rêve. Ont en effet répondu à notre invitation le journaliste Jean Cormier, l’ami et l’éclaireur des plus grands rugbymen fêtards ; Claude Spanghero, capitaine des virées nocturnes les plus homériques ; Laurent Labit, l’ancien joueur tarnais devenu manager du Racing 92 et de toutes ses stars prises parfois dans les tourments parisiens ; Vincent Charlot, un sociologue universitaire (Toulouse 3) dont les recherches portent sur le rugby professionnel. Enfin, pour animer le débat, (celui qui l’a fait naître) Jean-Christophe Colin a pris le micro et posé les questions :

Qu’est-ce que pour vous la 3e mi-temps ? Est-elle constitutive de ce jeu ? Citez un bon souvenir

Vincent Charlot : Le rugby a donné beaucoup de matière à écrire en sociologie, notamment sur la 3e mi-temps. Cela rejoint l’anthropologie parce que c’est du rituel masculin, même si quelques femmes sont là parfois. Elle est étudiée en tant que rite de passage, de masculinité aussi avec ses excès, alcool ou autres… Elle est également en rapport avec les caractéristiques du jeu, souvent lié à l’’image « on se tape dessus et après on boit ensemble ». Le rugby pro avec son cosmopolitisme a démontré l’existence d’un socle commun. La culture festive fait partie de tous les rugbys du monde. Même avant le début de la saison, on note des moments festifs pour souder le groupe et créer du lien. Un souvenir ? Je n’ai joué au rugby qu’à la fac. Etudiants et rugbymen, on croyait cumuler les effets en 3e mi-temps mais, un petit matin, en croisant l’équipe première de la Section Paloise et, en découvrant une Dyane (automobile de la marque Citroën) déposée devant la Halle du marché de Pau, on s’est rendu compte qu’il y avait un trait d’union entre notre équipe et l’élite de ce sport.

Claude Spanghero : on a connu l’époque où tous les joueurs d’une équipe étaient du coin. Que ce soit à Narbonne, Toulon ou Béziers, on se connaissait tous ; les proches venaient aux matches et, après, on était invités dans les familles. Après les matches, on était tous ensemble. Les jeunes qui arrivaient étaient pris en charge par les anciens ; on les formait et, traditionnellement, le jeune qui débutait son premier match en première était désigné capitaine de l’équipe…. C’est un rite de formation qui a existé dans tous les clubs. Quand on jouait à l’extérieur, au retour, le bus s’arrêtait chez nous, à la campagne (Bram, dans l’Aude). On prenait un apéro solide et on servait des plats à manger. Ça servait à se connaître et après, quand ils ont bu quatre canons, les gens parlent plus facilement. J’ai été capitaine pendant dix ans à Narbonne et dès qu’un joueur avait des soucis, je lui faisais boire du whisky et après je lui parlais de lui, de sa famille… Et le gars se mettait à parler… A 3 heures du matin, le bus repartait, parce que je bossais à quatre heures et que j’avais une demi-heure de route, il fallait que je sois prêt. Ça nous arrivait aussi de partir à minuit de Montchanin avec 8 heures de route derrière. Ça resserrait les gars, on refaisait le monde. Comme souvenir, je vais vous confier une anecdote que je vous demande de ne raconter à personne. C’était la veille du match France-Angleterre à Colombes, en 1972. On était logés à Rueil-Malmaison et Jean Cormier m’appelle pour me demander de le rejoindre à Paris. Je fais le mur et je le retrouve rue Princesse. On va chez Castel, on tombe sur l’équipe de Basket de Villeurbanne, après on va chez Tony et en face, parce que c’est des copains aussi. Bref, il est 8h30, le matin du match quand je rentre à Rueil. Je suis en tenue, avec la veste de l’équipe de France et je croise Michel Celaya (l’entraîneur) qui me dit qu’il me trouve bien matinal. Je lui réponds que les jours de grands matches, j’aime me lever tôt et je file dans ma chambre où je demande à Jean Sillères (ailier) de me réveiller à 10h30. Après, j’ai été élu homme du match. On avait marqué six essais aux Anglais, pour leur plus grosse défaite en France (37-12).

Jean Cormier : je voudrais préciser deux choses. 1) C’est Denis Lalanne (journaliste à L’Equipe), mon grand frère, qui a inventé ce terme de 3e mi-temps. L’autre c’est que si je dois faire un classement des meilleurs joueurs de 3e mi-temps, mon frère Claude(Spanghero) est sur la plus haute marche du podium.

Qui complète ce podium ?

Jean Cormier : là, c’est plus difficile. Gérald Martinez devrait en faire partie. Pierre Chadebech aussi. Mais il y a les Irlandais : Duggan, Slattery, Kennedy… Ils me font penser à cette anecdote. Ils sont tellement contents d’aller défier les Anglais à Twickenham qu’ils font la fête toute la nuit dans Londres. Et, à la première mêlée du match, toute la première ligne irlandaise vomit sur la première ligne anglaise. Et les Irlandais embrouillent le match et finissent par le gagner. Mes petites histoires sont démultipliées à l’infini. Je vais écrire un livre avec du plaisir, du bonheur et de la tristesse… Je n’ai pas eu de limite mais je ne sais pas si je peux tout raconter

Christian Labit : la 3e mi-temps était essentielle dans notre sport ; j’ai commencé à Revel en amateur. Aujourd’hui ç’a évolué. Tout le monde la voit après la victoire mais elle a aussi de l’intérêt, sinon plus, après la défaite. Parce qu’il faut se retrouver. J’ai une grande nostalgie pour les moments de partage qu’elle représentait. Pas seulement entre joueurs, mais aussi avec les familles, les supporteurs… On n’était pas soumis, comme aujourd’hui, aux visites de partenaires après le match. On avait des échanges avec les journalistes, ils avaient le temps de rendre leur papier le lendemain ; ils passaient la soirée avec nous ; il y avait les arbitres aussi. On refaisait les matches avec toutes les composantes du rugby. Quand on jouait à l’extérieur, on s’arrêtait à Noé et il y avait 15 bus garés devant le restaurant avec des équipes de fédérale, de tous les niveaux. Et là encore, on échangeait. Maintenant, on prend l’avion le matin du match, on rentre directement après ; il n’y a plus les mêmes échanges. On travaillait. En semaine, on allait au boulot et on se voyait très peu entre équipiers. Là, on se voit tous les jours, les joueurs dînent ensemble dans la semaine avec les femmes. Aujourd’hui, on voit bien que toutes les composantes sont très dissociées et se regardent en chiens de faïence. Avant, journalistes, joueurs, arbitres, dirigeants, on vivait main dans la main.

Finalement, la fonction de la 3e mi-temps n’était-elle pas le temps de la découverte du partenaire comme de l’adversaire ?

Vincent Charlot : autrefois, l’équipe de rugby représentait un territoire qu’il fallait défendre. On était les enfants du village et on n’envisageait pas de le quitter. Il y avait un esprit de corps. Il n’y avait pas non plus énormément de choix d’activité. Aujourd’hui, les rugbymen professionnels sont une corporation ; les joueurs se connaissent, changent de clubs. Ils ne découvrent plus. La Coupe d’Europe, c’était l’expédition, dans les années 1990. Aujourd’hui, à 30 ans, ils connaissent presque toutes les terres du rugby. Ils ne découvrent plus. Au niveau du rugby des villages aussi, la mondialisation a fait son effet. Il y a de la mobilité dans toute la société.

Claude, pour vous il n’y avait pas de copain pendant les deux premières mi-temps mais vous n’aviez que des amis pour la 3e…

Claude Spanghero : quand on allait à Toulon, c’était dur. Il n’y avait que de chandelles et gare à ceux qui osaient les cueillir. Quand on allait à Montceau ou au Creusot, on ne gagnait pas là-bas. C’était un rugby de tranchée. Ce qu’il y a de grave, c’est qu’à cause du manque de 3e mi-temps, c’est l’esprit qui n’y est plus. Je vais vous raconter une anecdote que j’ai vécue avec mon ami Ken Kennedy, le talonneur irlandais. En 1972, l’Irlande n’a pas participé au Tournoi à cause de la guerre. La fédération irlandaise a donc demandé à la FFR d’organiser deux matches aller-retour pour compenser la perte de recettes. Le match aller s’est joué à Toulouse avec une sélection du coin. Aux deux premières mêlées, Ken nous grappille le ballon. Je lui dis « Ken, arrête de faire le con ! ». A la troisième, il essaye encore et je lui en mets une. Il est tombé sur le séant. Le soir, je lui ai fait visiter toutes les boîtes de Toulouse et on est rentrés ensemble au petit matin. Pour le match retour, en Irlande, c’était l’équipe de France. A cinq minutes de la fin, je suis coincé sur la touche, me retourne, passe la balle et me retrouve sur le dos. Et là, je vois arriver une chaussure sur la poire : Ken ! Il m’a souri et m’a dit : « on est quitte ». J’ai eu des points de suture et failli ne pas jouer la demi-finale du championnat. C’est ça les Irlandais…

Comment a évolué 3e mi-temps ?

Jean Cormier : j’étais l’instigateur des mauvais coups. Je draguais les filles, enfin je ne draguais pas vraiment. Les filles étaient là, avec nous. C’était 1968, jamais très loin de l’année suivante. Tout était prêt pour le festif. J’ai baptisé la rue Princesse rue de la Soif et les autres adjacentes la vallée de la Soif. L’évolution vient aussi du fait que dans ce petit carré Saint-Sulpice, devenu pré carré du rugby, des anciens joueurs ont acheté des bistrots. Et maintenant, les équipes de rugby qui viennent faire la fête dans ce quartier sont protégées ; il y a un socle, une omerta. Si on savait à l’extérieur ce qui se passe au Pousse au crime… La 3e mi-temps est devenue plus planquée pour les joueurs pro, mais on parle de quoi ? Un millier de personnes. Tous les autres continuent comme avant. Le petit Camille Lopez parle toujours de Mauléon, où on fait la fête. Notre conversation sur les professionnels est intéressante mais n’oubliez pas qu’il y a deux rugbys : celui de l’élite et celui de la multitude qui n’a pas changé. Dans les villages, on se protège. On garde les adversaires pour dormir; ils ne rentrent pas bourrés.

En 1995, le rugby devient pro et la 3e mi-temps va être forcément impactée. Toutefois, on a l’impression qu’elle résiste même chez les plus grands et malgré la crainte des médias sociaux…

Laurent Labit : elle reste fondamentale. Mais il faut être aujourd’hui plus raisonnable, parce qu’on est plus suivis, plus contrôlés. On est à Paris où certaines affaires qui nous ont touchés récemment, ne seraient pas sorties à Castres ou à Montauban. On est donc obligés de prendre tout ça en compte. Les joueurs sont très bien préparés, il y a beaucoup d’impacts, des chocs très durs. Attention, le rugby était peut-être plus dangereux (mauvais coup, pas de vidéo) autrefois, mais l’envie d’aller voir l’adversaire, de boire un coup avec lui après les matches, persiste. Parce que ça fait vraiment partie de ce jeu. Cette saison, Lyon avait gagné chez nous et ils étaient restés sur Paris. On se connaît bien, les joueurs, les staffs. On est tous issus de la base, de clubs où la 3e mi-temps nous a formés. Et je voudrais souligner aussi que, même pour les matches à enjeu, il n’y a pas de grillages dans les tribunes pour séparer les supporteurs des deux équipes ; eux aussi font leur trois mi-temps ensemble.

Mais, maintenant, vous devez être obligés de choisir vos moments.. ?

Laurent Labit : les joueurs aujourd’hui sont mieux préparés, ils récupèrent mieux des soirées. Le lendemain ils ont les bains, la cryothérapie, les ostéo, les massages, la journée de repos. Nous, on allait au boulot le lendemain matin. En revanche, les enjeux sont devenus différents. Les joueurs portent des marques et ils doivent éviter tout ce qui peut nuire à leur image. Donc ils se font rappeler à l’ordre. On a mis en place système de contrôle, notamment vis-à-vis des réseaux sociaux. Aujourd’hui, un joueur qui sort la veille d’un match ne peut pas passer inaperçu et, imaginez la réaction des gens si ça se savait. Il y a un jugement moral maintenant.

Comment ça se passe au Racing ? Est-ce que le staff donne son autorisation pour les sorties nocturnes ?

Laurent Labit : on a plusieurs formes de management, suivant la période où on est. Par exemple, même si on a gagné un match très important à Lyon dimanche dernier, on a un quart de finale de Coupe d’Europe à jouer dimanche à Clermont, donc, dès la fin du match, au vestiaire, c’est interdiction de sortir ou de faire n’importe quoi. Autrement, on discute avec les leaders, nos relais dans l’équipe. Ils organisent beaucoup d’événements conviviaux dans la semaine. On les laisse aussi seuls juges de la soirée en respectant l’image du club et de ses partenaires.

Claude, j’ose à peine vous demander si un entraîneur vous a interdit de sortir. Et, si oui, dans quel cimetière peut-on le trouver ?

Claude Spanghero : s’il avait fait ça, il ne serait plus entraîneur. Mais à l’époque, on avait quand même conscience de représenter Narbonne ou l’équipe de France. A Narbonne, on était cinq ou six joueurs à gagner de l’argent, les jeunes ne touchaient que les primes. Mais quand on partait en 3e mi-temps, les petits ne mettaient jamais la main à la poche. On leur payait tout et on leur apprenait. En soirée, ils pouvaient me parler, s’ils avaient besoin de quelque chose, d’une voiture ou autre. J’en parlais au président et le jeune avait une Simca 1000. Ça se passait comme ça. Si je suis resté dix ans capitaine à Narbonne, c’est que je n’étais pas le roi des couillons.

Cela veut dire qu’il y avait une responsabilité collective de l’équipe sur la 3e mi-temps. Aujourd’hui, on a l’impression que les joueurs s’éparpillent, comme on l’a vu récemment avec l’équipe de France à Edimbourg…

Claude Spanghero : je me souviens d’un match à Bordeaux, où je demande à l’entraîneur de sortir la veille du match mais je dis aux gars qu’on rentre à minuit. C’est ce qu’on a fait, sauf deux qui sont arrivés avec demi-heure de retard. Je leur ai dit qu’ils ne joueraient pas et on a gagné sans eux. Je pense que les joueurs étaient plus murs et responsables avant.

Jean Cormier : le rugby évolue avec le temps. Un Guirado qui est un type charmant, posé, qui parle anglais. Parfait mais il n’y a plus de spontanéité qui faisait le rassembleur, celui qui pouvait dire merde à l’entraîneur, qui payait des grosses fêtes… Il est évident que ces gens-là, les frères Spanghero, Dauga et autres … auraient leur place dans le rugby d’aujourd’hui, parce que c’étaient des athlètes mais je voudrais voir comment ça se passerait avec l’entraîneur.

Vincent Charlot : ce qui a changé, c’est que le marché est devenu concurrentiel. En permanence, la performance est mesurée, pesée. L’évaluation individuelle est permanente. Avec, en plus, la concurrence étrangère. Les joueurs sont donc contraints à gérer leur propre carrière et la vraie difficulté du rôle de manager c’est de concilier les projets. Le sens de l’engagement dans une équipe de rugby pro peut être très variable : un tremplin pour certains, un passage pour d’autres. Certains s’économisent en championnat pour briller en Coupe d’Europe…. On regrette que ça se « footballise ». Moi, j’ai tendance à dire que c’est normal. Quand un marché s’économise beaucoup, avec le salaire du rugbyman, même s’il reste loin du footballeur, qui est un de ceux qui a le plus progressé ces vingt dernières années, avec la France qui est un l’Eldorado, les joueurs sont dans des logiques individuelles. Plus je vais faire de feuilles de match, mieux c’est et si le collègue sort et est pris avec de l’alcool au volant, ça peut être un concurrent de moins. Ce n’est pas facile à accepter pour les amoureux du rugby mais ça fait partie de la réalité des groupes aujourd’hui. Donc la 3e mi-temps existe toujours mais elle est encadrée ; on décide quand et comment…

Laurent Labit : c’est exactement ça. Le rugby est devenu un sport collectif pratiqué par des individualistes. Notre travail est de les faire travailler dans le même sens. Il y a effectivement des difficultés parce que les intérêts de certains ne se confondent pas avec ceux de l’équipe. On parle de l’apport des étrangers, notamment Néo-Zélandais. Pour eux, leur concurrent est dans le club adverse. Alors que pour un Français celui qui joue au même poste que lui dans son club est déjà un concurrent. Alors, il va difficilement travailler et partager avec lui. Les Néo-Zélandais ont la culture de la transmission et du partage. Quand j’ai débuté à Castres, les joueurs qui jouaient derrière avec moi étaient tous de la région et il y avait la notion de leader. On ne les cherche pas seulement en équipe de France, aussi en club. C’est un problème générationnel. Les pros d’aujourd’hui n’ont pas connu monde du travail, ils sont moins responsabilisés. En 1993, quand on gagne le Bouclier avec Castres, on fait la fête à Paris et l’entraîneur annonce que les remplaçants et les hors groupe vont jouer la finale du challenge du-Manoir, le week-end suivant, à Agen, contre Toulouse. Gary Whetton s’est levé pour dire qu’il n’était pas et que, si on voulait gagner, il fallait garder la même équipe. Aujourd’hui, c’est inconcevable. J’adore les mecs qui rentrent dans mon bureau pour manifester leur désaccord ; ça me fait réfléchir et progresser. Si je n’ai que des béni oui oui , je vais finir par croire que je suis le meilleur entraîneur du monde, mais ce n’est pas comme ça que ça marche. On manque de gars capables de taper du poing sur la table. On a plein de joueurs pétris de talent mais qui ne seront pas des tauliers.

Comment expliquez-vous les dérives de la 3e mi-temps qui ont émaillé la chronique ces derniers temps ?

Vincent Charlot : il y a le regard beaucoup moins bienveillant de la société. Ce qui a changé aussi la tolérance, c’est la publicisation des salaires. L’amateurisme marron n’attirait pas l’attention. Avant, on était tolérant parce qu’ils étaient amateurs. Le jugement moral du comportement des joueurs a été attisé par leur professionnalisation. Avant, on les voyait comme des surhommes capables de jouer, de se coucher tard et d’aller au boulot le lendemain. Aujourd’hui, on reprochera à un pro qui sort d’outrepasser ses droits. Après, on a tous une caméra sur nous, le moindre faux-pas peut être sur internet, en une minute. On est jugé socialement avant d’avoir fait une bêtise. On a eu Byron Kelleher en formation à la fac ; il n’y venait pas régulièrement mais, le lendemain de son altercation avec un boxeur dans un bar toulousain, il est venu. Il avait l’œil abîmé et on lui a demandé pourquoi. Mais toute la fac, comme la ville était déjà au courant. On lui a conseillé de présenter des excuses et c’est ce qu’il a fait. Mais ç’a été le début de sa fin à Toulouse. A Pau, je parle beaucoup avec Slade et Smith de la maison « All Blacks ». Ils me racontent que cela tient autant de la tradition que, maintenant, de la marque et qu’ils doivent en respecter les codes. D’où cette conférence de presse d’Aaron Smith en pleurs pour s’excuser d’avoir été surpris dans les toilettes d’un aéroport en galante compagnie. Autrefois, ça aurait fait sourire qu’un joueur fasse ça ; aujourd’hui on ne le tolère plus.

Claude Spanghero : je ne me souviens pas d’un joueur de Narbonne ou de l’équipe de France se batte dans une boîte de nuit. Quelques accrochages, peut-être, mais rien de grave. Bien sûr que le rugby a couvert des affaires mais nous n’étions pas dans une situation de non droit. On veillait au grain ; il m’est arrivé de dire à Jean Castel de ne pas laisser entrer dans sa boîte un joueur de l’équipe de France parce que je savais qu’il allait créer des problèmes…

Comment l’institution Racing est-elle amenée à gérer ce genre de problèmes ?

Laurent Labit : difficilement. L’an dernier, on a été bien gâtés à ce niveau-là. Surtout que c’est tombé à une période où on n’avait pas trop de résultats. Donc, en tant qu’entraîneur, j’ai entendu le double reproche : tu ne tiens pas les joueurs sur le terrain ni en dehors. Tu te retrouves en première ligne. Après, c’est vécu différemment suivant les joueurs sur lesquels ça tombe. Bien sûr, c’est normal que la société n’accepte pas tout. Mais, sur Paris, il y a des caméras et des flics partout. Certains sont commissionnés avec les journaux people pour qu’ils les avertissent dès qu’ils attrapent une star. C’est ce qui s’est passé avec Dan Carter. Tu n’as pas le temps de réagir que c’est déjà sorti sur le site du journal. Dan partait en vacances. Il était sur Paris pour une réception avec un de ses partenaires. Il a du boire trois verres puisqu’il a été pris à 0,8g, je crois. Il rentrait chez lui et devait prendre son avion pour la Nouvelle-Zélande le lendemain. Il se fait contrôler pour la vitesse sur les Champs-Elysées. Il n’avait pas de papiers, un des flics l’a reconnu et c’est là que ça s’est aggravé. Ils l’ont fait souffler et tout ce qu’il y a eu derrière… ç’a été dramatique pour lui. Quand tu es All Black, tu représentes l’institution. On n’imaginait pas l’impact négatif que ça allait prendre dans son pays. Voilà ce qui s’est passé. Et puis, après les histoires réelles, il y a celles qui sont montées. Ça nous est arrivé en début de saison avec deux piliers, à la sortie d’une boîte où ils avaient fêté l’anniversaire d’une copine. Sur le trottoir, ils se chambrent sur la façon de plaquer et il y en a un qui plaque l’autre. Ils finissent dans la station de Vélib, ils rigolent et là, passe une voiture de la BAC. En voyant ces deux sangliers dans les Vélib, les policiers croient à une bagarre et ils les interpellent. Comme ce sont des îliens, qu’ils ne parlent pas , ils finissent au poste et dans les journaux, alors qu’ils s’amusaient. Des trucs comme ça, il y a vingt ans, il y en avait après tous les matches, mais personne n’en parlait. Mais quand tu es impacté par ça au club ; c’est difficile. Le président était à cran parce que le préfet lui a écrit. Or il était en attente de l’autorisation d’ouverture de l’Arena par la préfecture. Donc, il a fallu s’excuser auprès du préfet.

Malgré cela, vous continuez à autoriser les sorties à vos joueurs…

Laurent Labit : oui pour tout ce qu’on a déjà dit. Même si on est les premiers à dire que ce ne sont pas les 3e mi-temps qui font les victoires mais les victoires qui font les 3e mi-temps, il y a des soirs de défaites où il est important de se retrouver. Encore plus aujourd’hui où il serait tellement facile de s’éparpiller dans l’anonymat de Paris. Mais on en revient à la responsabilisation du groupe et à la confiance qu’on accorde aux leaders.

La 3e mi-temps servait de traitement psychologique de masse, ne va-t-on pas aujourd’hui, comme en football, vers des traitements psychologiques individuels ?

Vincent Charlot : ce n’est pas pour défendre à tout prix les joueurs de rugby, mais ils subissent en permanence des injonctions paradoxales. On les éduque en centre formation à la rigueur diététique et, en même temps, on les somme de ne pas devenir comme les footballeurs. Les journalistes se plaignent aussi de ces joueurs au discours plat, qui font du média training. On leur demande ça et on leur rabâche qu’avant c’était mieux. Donc ils ont envie de rappeler qu’ils sont joueurs de rugby, qu’ils n’ont pas oublié leur petit club et donc ils s’autorisent la 3e mi-temps. Je vois ça comme une manière de montrer que le rugby reste le rugby. Les jeunes sont élevés dans ce paradoxe.

Laurent, avec votre groupe très cosmopolite, la 3e mi-temps n’est-elle pas aussi l’occasion de découvrir d’autres cultures ? Autrefois, elle mélangeait les couches sociales, aujourd’hui les continents ?

Laurent Labit : tout à fait. Avant, on était sur l’appartenance ; très peu de joueurs venaient de très loin. Aujourd’hui, on a les Argentins qui sont un peu nos cousins. Mais les Anglo-Saxons, les Iliens, les Géorgiens ou les Néo-Zélandais n’ont pas les mêmes traditions que nous. Des fois, c’est ça qui pose problème sur des soirées et, comme nous ne sommes pas avec eux, c’est là que nous avons besoin des leaders pour les contrôler. Parce que quand on nous appelle, c’est souvent trop tard. Ce qui manque c’est les leaders. Très peu de joueurs sont capables de dire à Tameifuna de ne pas rentrer dans un bar parce que ça va mal se passer.

Abordons la place des femmes de joueurs dans la 3e mi-temps. On a l’impression qu’elles sont plus présentes qu’avant…

Laurent Labit : c’est vrai. Elles les accompagnent beaucoup. Le statut des femmes de joueurs a changé. Il y en a très peu qui travaillent aujourd’hui. Elles vivent derrière leur mari. Pour certains, c’est une forme de pression supplémentaire à la maison, parce que dès que le joueur commence à moins jouer, sa valeur baisse. Ça nous est arrivé de nous faire alpaguer par une femme à la sortie d’un match pour savoir pourquoi son mari n’avait pas joué. Heureusement, il y en a aussi qui aident leurs maris et ça fait aussi partie de notre travail de s’appuyer sur elles pour que l’ambiance du groupe soit la meilleure possible.

Il y a eu récemment des affaires de viol, ou d’agression sexuelle, impliquant des rugbymen en 3e mi-temps. Est-ce nouveau ?

Jean Cormier : dès qu’un joueur de l’équipe de France a un pet de travers, ça se sait. Peut-être qu’à Edimbourg, certains joueurs se sont un peu trop rapprochés d’une fille mais elle n’a jamais dit qu’elle avait été violée.

Au-delà de cette seule affaire, il y en a eu d’autres. Et on sait que des hommes ensemble peuvent abuser. Médiatisés, starisés, les rugbymen sont-ils préparés à ce qui les guette la nuit ?

Vincent Charlot : pour un joueur starisé, même localement, la vie est relativement simple. Sa vie nocturne et sa vie affective peuvent s’intensifier très facilement. Après, il y a une éducation là-dessus. Les joueurs sont tous passés par des centres de formation où ce travail est fait. On les met aussi en garde vis-à-vis de leur entourage afin d’écarter des agents véreux ou autres… Après, les dynamiques d’un groupe alcoolisé, que vous soyez rugbyman ou plombier… les fins de séminaires alcoolisées de cadres supérieurs au fond d’une discothèque, ça n’est pas mieux. La différence, pour les rugbymen, c’est qu’ils passent à la télé. Ils sont donc reconnus et peuvent attirer les convoitises. Je ne veux pas dédouaner les rugbymen mais les groupies intéressées, ça peut leur arriver et ils doivent s’en prémunir.

Laurent, avez-vous au Racing une action de prévention dans ce domaine ?

Laurent Labit : bien sûr. Obligatoirement chez les jeunes, dans leur formation. Et même sur les joueurs professionnels. Avec la médiatisation et la publicité de leurs salaires, les joueurs peuvent devenir des proies pour certains, comme c’est arrivé dans le foot il y a quelques années. On côtoie des footballeurs ; ils privatisent les endroits où ils font leurs soirées. Mais je voudrais rajouter que c’est bien que les joueurs ne soient pas protégés parce qu’ils sont joueurs de rugby. S’ils se sont rendus coupables de faits répréhensibles, ils doivent être sanctionnés comme tout un chacun.

Ce qu’on aime dans le rugby, c’est la proximité avec les joueurs. Va-t-on la perdre ?

Laurent Labit : ça marche dans les deux sens. Pour la soirée d’Edimbourg, je ne parle pas de ce qui s’est passé avec la fille, on a un joueur du Racing qui a été pris en photo avec des supporteurs avec qui il parlait dans un bar. Et la photo a été envoyée sur les réseaux sociaux avec ce commentaire : « non seulement ils ne sont pas bons mais ils se saoulent ». Forcément, le joueur va mal réagir. Les mentalités ont changé. Pour nous, c’était un luxe de retrouver les supporteurs, les journalistes, les arbitres. A la fin de la soirée, on avait bu, rigolé mais, surtout, ça nous avait enrichis. Maintenant, tu dois faire attention à tout. L’image, c’est terrible.

Est-ce que l’entraîneur doit participer à la 3e mi-temps ?

Laurent Labit : dans ma carrière, j’ai connu des entraîneurs qui savaient très bien se servir de la 3e mi-temps, pour aller chercher certains joueurs, les provoquer aussi ou les découvrir. Aujourd’hui, c’est difficile. Y être au début oui, mais on se retire vite pour laisser les joueurs entre eux. C’est notre façon de fonctionner. Ça nous permet aussi d’éviter des situations embarrassantes. Les intérêts sont devenus tellement importants que, forcément, dans la soirée on risque d’être accroché par un joueur qui ne joue pas et dire alors des choses impossibles à rattraper.

Jean Cormier : je pense à Jacques Fouroux. C’était un capitaine de guerre sur le terrain mais, devenu entraîneur, il a été extraordinaire pour son groupe d’hommes. Il aimait ses mecs à en crever et il préparait dans la 3e mi-temps les deux du match suivant.

Débat : "La transmission : le rugby de père en fils"

Festival Rugb’images

Débat à Graulhet, lundi 26 mars, au cinéma Le Vertigo, sur la transmission père-fils après la projection du documentaire de Guilhem Garrigues diffusé sur Canal + « La transmission : le rugby de père en fils ».

Guilhem, comment s’est construit ce documentaire magnifique ?

Guilhem Garrigues : merci. J’ai eu la chance d’être aux demi-finales à Marseille, pour Canal +, et d’y rencontrer par hasard Alain Penaud. On a déjeuné ensemble avan le match Racing-Clermont et j’ai senti beaucoup de pudeur et en même temps beaucoup de fierté de sa part vis-à-vis de la carrière de son fils. Je lui ai proposé de réaliser un reportage avec lui, si jamais Clermont se qualifiait pour la finale. Il m’a dit OK, si Damian est d’accord. En fait, les négociations ont duré quelques jours. Alain ne voulait pas perturber la préparation de son fils à la finale. On a donc commencé par cette scène où Alain craque dans les tribunes du Stade de France. Je pars de ça en me disant qu’il y a quelque chose à faire derrière. Ensuite, il a fallu faire des choix parce que ce genre de scène, on le vit tous les dimanches, sur tous les terrains, où il y a beaucoup de pères et fils. Je voulais d’autres cas différents, trois histoires différentes. Pour incarner une relation fusionnelle père-entraîneur, fils-joueur, j’avais le choix entre les Ntamack et les Roumat. J’ai demandé à Emile Ntamack ; il m’a répondu oui, si Romain est d’accord. Alexandre Roumat, lui, a décliné estimant qu’à peine arrivé à Bordeaux, il voulait d’abord y faire ses preuves. Après, je voulais une histoire où les deux jouaient dans le même club et où le père représentait une institution. Je voulais voir comment le fils avait grandi dans ces conditions. Et le choix des Erbani a été assez naturel. Dominique, un joueur de la grande époque du SUA, qui a disputé la finale de la première Coupe du monde au temps où le rugby était complétement amateur et Antoine, un joueur formé dans la ProD2 et dans l’ombre du père.

Damian Penaud ne voulait pas parler de son père. J’ai eu du mal. Le tournage s’est fait pendant une semaine de Top 14… Au bout de 48 heures, je lui montre ces images de son père en larmes au Stade de France, que personne n’avait vues. Damian se fend d’émotion et, par pudeur, on n’a pas tout passé. J’aurais aussi voulu suivre Willy Taofifenua qui file d’un stade à l’autre pour voir ses deux fils jouer (l’un pour Bordeaux, l’autre pour Toulon). Il a fallu choisir. En revoyant ce film, quelques mois après, on s’aperçoit que l’actualité évolue vite : Guy Novès n’est plus sélectionneur, Damian a été longuement blessé et Antoine Erbani va quitter le SUA pour la Section Paloise…

Combien d’heures de tournage pour réaliser ce documentaire ?

Pour les 26 minutes que vous avez vues, on a du tourner une trentaine d’heures. Le but c’est d’avoir des séquences, des moments de vie. On ne sait jamais combien de temps ça va durer. A Toulouse, c’est quatre fois deux heures. Il y a aussi les heures passées à chercher dans les archives à regarder les anciens matches des pères. C’est du travail mais aussi du plaisir, surtout quand, par hasard, je tombe sur le plan du petit Romain sur les genoux d’Emile dans le vestiaire toulousain…

La chaîne Canal a pour mission d’élargir le public du rugby. Dans ce reportage, on est dans le rugby que j’aime et qui peut accrocher ceux qui ne connaissent pas ce sport.

Emile, quand Guilhem vous a proposé ce sujet, comment avez-vous réagi ?

Emile Ntamack : Déjà le fait que ce soit Guilhem qui propose le sujet, ça met en confiance. On est sûr que ça ne va pas être monté pour faire du buzz. Il y avait le problème d’emploi du temps de Romain qui devait passer son bac. Dans notre famille en tout cas, on a toujours vécu le rugby de façon simple ; c’était d’accompagner nos enfants dans leur passion, quelque soit le résultat. J’ai connu la même émotion qu’Alain pour la finale du Top 14, lors d’une finale de cadets. Ce n’est pas le niveau qui compte ; l’important, c’est l’épanouissement de nos fils, d’en être fier et de prendre du plaisir à les voir jouer.

Avec le professionnalisme, peut-on craindre moins de filiations ?

Emile Ntamack : il y en a toujours eu et je pense qu’il y en aura toujours. Ce qui change c’est la médiatisation, aujourd’hui, on filme les moins de 20 ans. Le professionnalisme c’est aussi vivre de façon médiatique notre activité. Il faut le prendre avec décontraction en choisissant ce qu’on veut montrer et ne pas montrer. On a ce plaisir de partager notre passion avec nos enfants. C’est assez naturel, on reproduit ce qu’on a connu étant enfants.

Emile, pouvez-vous imaginer Romain ailleurs qu’au Stade Toulousain ?

Emile Ntamack : Romain a grandi au Stade Toulousain ; ça m’aurait fait mal qu’il n’ait pas ce maillot pour son premier match en Top 14. Dans l’ère moderne, peu de joueurs réalisent leur carrière dans un même club. A l’époque, on parlait de mercenaires. Aujourd’hui, c’est un job et donc il faut aller où sont les intérêts du joueur, pas que financiers, aussi pour gagner du temps de jeu, se remettre en question. Mais le plus tard possible, j’espère…

Guilhem, n’avez-vous pas songé à mettre une fille dans votre sujet ?

Guilhem Guarrigues : j’avais imaginé d’intégrer la relation entre Christophe Deylaud et sa fille qui joue à Blagnac. Ç’aurait été intéressant. Mais Canal Plus n’a pas les droits du Top 8. Mais oui, il y a de belles histoires à raconter avec les filles aussi.

Emile, on vous voit tellement fusionnel en tant qu’expert de rugby. Est-ce que ça ne va pas au détriment du rôle de l’entraîneur de Romain ?

Emile Ntamack : je ne vais pas contre la vision stratégique de son entraîneur. Mais je lui donne mon ressenti. Il a besoin du regard de son papa parce qu’il sait que ça sera franc. De savoir ce qu’il a fait de bien, ce qu’il aurait pu mieux faire. Il y a aussi, peut-être, beaucoup d’exigence de ma part. Quand des jeunes viennent me voir en me confiant leur ambition, je leur réponds que c’est possible mais qu’il y aura beaucoup d’exigence. Il ne faut pas oublier qu’il y a beaucoup de travail avant la réussite. Romain l’a su très vite. Et il sait que j’irai toujours chercher un peu plus…

De nombreux pères et fils, anciens ou joueurs du SC Graulhet rejoignent alors Emile Ntamack et Guilhem Garrigues sur scène. Ils sont également accompagnés de Jean-Pierre et Jean-Marc Aué (ancien international, entraîneur de Graulhet) qui prennent le micro en premier :

Jean-Marc Aué, fils de Jean-Pierre : Le film que nous venons de voir est une belle histoire d’émotions et de transmission qui me rappelle la mienne et celle de tant d’autres. J’ai beaucoup de fierté d’être le fils de . Mon fils joue aussi et c’est la quatrième génération. On s’est transmis beaucoup de passion, d’amour et de pudeur. Il n’y a pas de concurrence avec le père. On prend l’expérience de l’ancien pour nous ouvrir la voie. J’ai connu les deux rugbys pro et amateur. On était pas toujours d’accord avec mon père : je lui disais que c’était le rugby pro. Mais c’est une belle histoire de tradition et d’émotion. C’est aussi la vie. Il n’y a pas que des moments faciles. Mon père ne m’a jamais dit que j’étais bon alors que j’étais mauvais.

Jean-Pierre Aué : je suis dans une position difficile, car j’étais le fils de mon père et j’ai été le père de mon fils et, maintenant, le grand-père de mon petit-fils, Jean-Marc qui joue en junior à Gaillac. Concernant la famille Aué, il y a toujours de la fierté. Mon père a été champion de France en 1951 avec Carmaux. Moi et mon frère on a été champions de France en 2e division en 1972 et Jean-Marc l’a été après en juniors Balandrade. Regardez vos archives mais trois générations championnes de France dans le même club, il ne doit pas y en avoir beaucoup, même si on a du descendre de catégorie à chaque génération…

Jean-Marc a été le fils que j’aurais aimé avoir tant au niveau caractère que rugbystique. J’ai aussi deux filles et une femme, leur maman à tous les trois. Mais, c’est bizarre, quand il y a une victoire dans la famille, je suis content et, quand il y a une défaite, la semaine n’est pas bonne. Je vous raconte une anecdote : en 1990, Jean-Marc a joué à 19 ans, un quart de finale contre Agen à Dax. Il a marqué trois essais, pas d’anthologie mais des essais quand même. C’était magnifique mais j’ai pleuré tout le trajet du retour parce que mon père était décédé dans la semaine et que je ne pouvais pas partager ça avec lui. Je vous passe la suite de sa carrière, sa sélection en équipe de France pour vous raconter une histoire toute récente, d’il y a quinze jours. Graulhet jouait contre Gaillac mais moi, je suis impliqué au club de Carmaux, en promotion d’honneur, et un sponsor, un ami, venait ce jour-là. Je n’ai donc pas pu aller voir Graulhet. A la fin du match, on avait gagné et tout le monde me demandait ce qu’avait fait Graulhet… Jusqu’à ce que ma belle-fille me fasse signe que c’était gagné aussi. Alors je suis reparti pleurer un quart d’heure…

Jules Montels : j’ai reconnu dans le reportage et les commentaires le lien qui m’unit à mon père. A Graulhet, 90% des joueurs ont été initiés au jeu par un parent. On en parle ou pas, toujours avec beaucoup de pudeur, mais on se comprend. Il y a toujours la fierté de représenter l’institution et la volonté de faire plaisir aux aînés.

Hugo Gély, fils de Renaud : pareil quatre générations qui se suivent. Dommage que mon grand-père ne soit pas là, mais je vous rassure : il est à la maison. Il y a aussi Benoît, mon oncle. J’ai pris l’expérience du grand-père, du père, de l’oncle. On en rigole et on s’engueule parfois à la maison avec les vidéos. Mais j’espère avoir une aussi belle carrière que les « vieux », comme on les appelle, qui nous soutiennent quoiqu’il arrive.

Julien Pauthe : Il y a toujours eu un Pauthe à Graulhet. Je n’ai pas trop vu jouer mon père mais on ressent ça dans le reportage. On me parlait beaucoup de mon père. On travaillait ensemble mais, le lundi matin, quand on avait perdu, on ne se parlait pas trop mais on se comprenait. Très joli documentaire, à refaire avec la fédérale.

Philippe Garrigues : Nous, on n’a que deux générations, mon père et moi. Mais je me suis bien reconnu dans le reportage. Je suis fier quand on me compare à mon père mais je vais quand même essayer de le dépasser…

Eric Montels : j’ai deux fils. Et une fille qui joue au basket. Il faut se partager. Peu importe le niveau de jeu, ce qui compte, c’est le plaisir des enfants…. Le bonheur est sur le pré. Ou, juste après, au bar. Mais ça fait partie du rugby.

Benoit Bellot : je suis la tare de la soirée car mes trois enfants jouent au foot. J’ai eu la chance de voir mon père évoluer. J’ai eu la chance, ou pas, de l’avoir comme entraîneur. J’ai vu à la maison ce qu’était la passion du rugby. Le magnétoscope en avant, en arrière. Après être parti jouer à l’USAP, j’ai eu la chance de revenir au club, de l’entraîner. Je suis mon neveu qui lui joue au SC Graulhet.

Pierre-Jean Pauthe : ç’a été évoqué dans le reportage mais c’est vrai qu’on ne se parlait pas beaucoup avec mon père. Un regard suffisait ; il y avait tout dedans. Surtout juste avant le match. J’ai arrêté vite de jouer mais depuis que Julien joue j’ai l’impression d’avoir repris. Il a fait quelques sélections, des clubs ont essayé de l’attirer. J’ai toujours été derrière lui, sa mère et sa sœur aussi. On a vécu des moments émouvants. Y’a pas qu’à Carmaux que coulent les larmes.

Débat : Le dialogue arbitre-joueurs

Débat Rugb’images à la CCI de Castres

Jeudi 29 mars

Le dialogue arbitre-joueurs

« Dis-moi, pourquoi tu siffles ? »

Pour répondre à cette question, l’équipe de Rugb’images a réuni un plateau de choix avec trois arbitres aux problématiques différentes. Jérôme Garcès, parce qu’il est un des meilleurs arbitres du rugby mondial, Christine Hanizet, première femme à avoir arbitré du rugby professionnel en France, qui vient de raccrocher et, enfin, Kevin Bralley, jeune arbitre de Fédérale 2. Il y avait aussi un président de club (Alain Carrè, US Colomiers), un manager (Christophe Urios, Castres Olympique) venu avec ses trois capitaines du CO : Rodrigo Capo-Ortega, Mathieu Babillot et Robert Ebersohn. Deux animateurs pour diriger les débats d’une telle assemblée n’étaient pas de trop : Emmanuel Massicard (directeur de la rédaction de Midi-Olympique) et Wilfried Templier (correspondant régional de RMC Sports) ont su faire preuve, pendant deux heures, d’autant de pédagogie que de complémentarité ; à l’image de la relation idéale entre un arbitre et les deux capitaines sur le terrain.

Jérôme, vous qui arbitrez au plus haut niveau depuis 2006, quel est votre constat sur l’évolution du dialogue arbitre-joueur en Top 14?

Jérome Garcès : arbitrer un match de rugby c’est compliqué. On essaye de définir un cadre et que les joueurs le connaissent et le comprennent. Le but c’est de rester dans un cadre assez souple et de s’y tenir. Cette année, World Rugby nous a fait beaucoup de recommandations sur le respect des valeurs. Les joueurs nous demandent souvent pourquoi ils ont été pénalisés, mais je ne vois pas de dérive. Il faut qu’on continue à garder ces valeurs. 2006, c’était le début de la vidéo. Ce qui a changé, c’est le protocole vidéo que les joueurs le demandent énormément. Ça apporte du dialogue mais aussi de la pression. Quand les images défilent sur l’écran géant, un capitaine va vous dire que la faute vaut un carton rouge et l’autre, simple pénalité ou carton jaune…

Est-ce la même chose au niveau international ?

Jérôme Garcès : Un joueur quelle que soit sa nationalité, veut comprendre les décisions de l’arbitre. Le nombre de pénalités par équipe est compté, observé. L’Irlande qui vient de faire le Grand Chelem en a eu seulement 8 par match. On pense que le staff irlandais a beaucoup fait travailler ses joueurs sur la discipline… L’arbitre se doit de répondre à l’interrogation du joueur. Le capitaine, au niveau international, a vraiment un rôle majeur. Très peu d’autres joueurs que le capitaine discutent avec l’arbitre, ou alors un leader. J’aime bien, si le talonneur n’est pas capitaine, parler avec lui avant le match. Pour nous, le capitaine est un socle fort

Christophe Urios, partagez-vous ce constat ?

Christophe Urios : oui, je pense que la relation a changé. Quand on prépare le match, on se prépare à l’arbitrage. Là, il faut ou pas gratter ; si on met la pression là, il va nous récompenser. Des fois on annonce un arbitre qui valorise le grattage et, ce jour-là, il ne le fait pas et les joueurs ne comprennent pas. Mais ils sont intelligents et connaissent les règles. En Top 14 plus de joueurs interviennent auprès de l’arbitre mais ils savent tous l’importance de la discipline dans le résultat d’un match.

Qui parle à l’arbitre ?

Christophe Urios : on a nos leaders ici présents et j’aime bien aussi que le talonneur ait une relation authentifiée avec l’arbitre.

Rodrigo, à quels moments avez-vous envie de parler à l’arbitre?

Rodrigo Capo-Ortega : je vais le voir quand je ne comprends pas pourquoi il a sifflé et je transmets son explication à mes coéquipiers. C’est très important. Des fois, sur l’arbitrage vidéo, beaucoup d’arbitres nous disent, avant le match : « si pour vous, je ne devrais pas accorder un essai, ou une faute, n’hésitez pas à me demander la vidéo ». Ils ont aujourd’hui des armes pour se tromper moins. C’est très important d’avoir une bonne relation avec l’arbitre quand je suis capitaine.

Mathieu, êtes-vous toujours reçu comme vous le voulez par l’arbitre ?

Mathieu Babillot : si on s’énerve trop, il va se braquer. Donc, à nous d’être intelligents. Le joueur, même le capitaine, doit rester à sa place ; l’arbitre est là pour faire son job.

Kévin, comment cela se passe-t-il en Fédérale ?

Kévin Bralley : je fais pratiquement le même constat. En Fédérale 2, il y a beaucoup d’anciens professionnels, surtout de ProD2, qui sont capitaines. Ils nous mettent la pression mais nous n’avons pas la vidéo. Un essai accordé, le reste. Des joueurs viennent plus souvent nous parler qu’au niveau pro. Surtout en fin de match. Ils sont moins prêts physiquement et, dans le money time, fatigués, ils ont tendance à parler plus.

Sentez-vous une pression plus forte ?

Kévin Bralley : Ça fait huit saisons que j’arbitre. J’ai senti l’évolution à partir de l’Honneur où beaucoup de joueurs viennent terminer leur carrière à des niveaux inférieurs. A nous de renvoyer la pression sur le capitaine afin de le garder avec nous sur le terrain.

Vous tracez tous un bilan idyllique. On a pourtant l’impression de voir de plus en plus de bras levés, plus de contestations, après vos coups de sifflet ?

Jérôme Garcès : oui, c’est vrai. A World Rugby, on a eu pas mal de vidéo pour nous sensibiliser sur les joueurs qui lèvent les bras, n’écoutent pas l’arbitre. Ça n’est pas qu’en France, on l’a vu en Super rugby cette année. Nous, on est au milieu de tout pendant 80 minutes où il va se passer plein de choses. Nous et les joueurs, avons planifié notre match mais, parfois, arrive l’inattendu et des incidents. Alors, même s’il y a des décisions très dures à prendre, il faut le faire.

Christine, en tant que femme, avez-vous eu droit à plus de respect ?

Christine Hanizet : oui, j’ai eu des relations exceptionnelles parce que j’avais droit à plus de respect. Evidemment, j’étais attendue au tournant et il m’a fallu travailler un peu plus que les hommes pour que le fait que je sois une femme ne fasse pas de différence sur le terrain.

Alain, on voit beaucoup de présidents entrer dans la danse et contester l’arbitrage…

Alain Carré : de manière générale, je pense que l’arbitre est respecté dans notre sport. J’entends les discours d’avant match ou à la mi-temps et il y a beaucoup de consignes sur le respect de l’arbitre. Je remarque que les joueurs sont très attentifs dans la semaine à qui va les arbitrer. Souvent, après-match, il y a plus de critiques sur les arbitres de touche que sur les arbitres de champ. On a un sport très difficile à arbitrer avec des règles compliquées. A chaud, je suis souvent amer et, le lendemain, à la vidéo, je vois que la décision est loin d’être toujours erronée. Je peux vous dire aussi que mes joueurs ont des arbitres par qui ils aiment être arbitrés et d’autres pas.

Mais que pensez-vous des interventions médiatiques ?

Alain Carré : certains présidents sont passionnés, peut-être un peu trop. Ou alors, ils veulent se montrer médiatiquement. Ça m’est arrivé d’aller voir un arbitre après un match mais dans le local des arbitres, pas devant une caméra. Cette discussion où on n’est pas d’accord ne doit pas se faire aux yeux de tous. Le président aussi doit être à la hauteur de son sport. Dans le même ordre d’idées, Je ne crois pas que ce soit très bon de voir , à Canal Plus ou dans le Midol, un président qui intervient dans le vestiaire.

Passons au terrain. Jérôme, comment demandez-vous l’assistance vidéo ?

Garcès : l’explication est assez simple. On travaille avec deux arbitres de touche ; ce sont nos partenaires. A partir du moment qu’il informe l’arbitre que la passe n’est pas en-avant, il n’y a pas lieu d’appeler la vidéo. Je dis toujours qu’on doit prendre un maximum de décisions sur le terrain. C’est dur pour tout le monde. Ce qui nous importe, c’est notre prestation à la fin du match. Ne pensez pas que ça ne me tord pas les tripes de fausser le résultat d’un match par une mauvaise décision. Quand ça arrive, on se remet à travailler et, la semaine d’après, on a la chance de pouvoir se rattraper.

Christophe Urios : ça me tord pas les boyaux, ça ne me coupe pas l’appétit mais ça me gonfle. Des fois, on se dit qu’on va rater l’avion parce que le match s’éternise avec trop d’appels vidéo. Pour résoudre ça, je me demande si l’arbitre vidéo ne pourrait pas être le seul juge pour arrêter une action. Récemment, contre Pau, Mathieu (Babillot) est allé voir l’arbitre qui lui a répondu : « l’arbitre vidéo ne m’a rien signalé ». Est-ce que ça n’accélérerait pas le processus ?

Jérôme Garces : on ne peut pas déléguer la responsabilité à une seule personne. Parfois, je sens qu’il s’est passé quelque chose sur le terrain mais je n’en ai pas eu la nette perception. Au niveau international, l’arbitre vidéo a le match avec un décalé de dix secondes ; je lui demande pendant l’action et il me dit c’est bon ou arrêtes. En Top 14, je ne sais pas si le plaquage est légal, en direct il le voit aussi. Il me demande d’arrêter et, à la vidéo on voit que le plaquage est correct. Avec ce décalage, je pense qu’on pourrait réduire les appels de 25%. Mais je ne suis pas d’accord pour déresponsabiliser l’arbitre de champ. Quand le bateau tangue, on doit assumer notre responsabilité.

Visionnez-vous les matches des équipes que vous allez arbitrer ?

Jérôme Garcès : j’ai un changé ma stratégie. Avant je regardais tout et j’avais trop d’informations. La mêlée c’est compliqué. Un pilier peut dominer un match et être dominé la rencontre suivante. Le combat au sol est primordial. Qui vient plaquer, qui vient au soutien, qui gratte ? Si on est précis sur le jeu au sol, on gagne la confiance des joueurs. A l’inverse si on n’a pas la bonne photographie du ruck si on n’a pas tout ça dans la tête, on n’y arrivera pas. Moi, je me dis que si je gagne la bataille du ruck, je ne suis pas loin de réussir mon match. L’équipe de France a réussi son Tournoi parce qu’elle été très performante dans les rucks et très difficile à lire par non seulement ses adversaires mais aussi ses arbitres. Avec elle, on a eu du mal à identifier quels joueurs allaient venir gratter, tellement il y en avait.

Kévin Bralley : je suis d’accord. Si on est clair sur le jeu au sol on a la confiance des joueurs, d’autant plus qu’en Fédérale il n’y a pas d’arbitre de touche officiel.

Robert, avec votre culture sud-africaine, comment jugez-vous l’arbitrage français ?

Robert Ebersohn : on veut que l’arbitre communique bien avec nous. J’ai été capitaine deux fois cette année. Mon rôle c’est plutôt d’aider le capitaine. Au début, c’était différent. D’abord avec la langue. Mais les arbitres français parlent très bien anglais. C’est très bien. Oui, je pense que le niveau est haut. Pour moi, c’est pareil qu’en Afrique du Sud.

Mathieu, comment faîtes-vous pour ne pas trop parler à l’arbitre ?

Mathieu Babillot : à certains moments, on a besoin de comprendre mais il ne faut pas qu’il se lasse si on lui pose trop de questions. Ça m’est arrivé de lasser des arbitres, oui. Le capitaine doit aussi veiller à ce qu’un coéquipier ne vienne pas interférer la relation qu’il a établie avec l’arbitre.

Le tutoiement entre arbitres et joueurs, est-ce une bonne chose ?

Mathieu Babillot : moi, je n’ai pas de problème là-dessus

Jérôme Garcès : j’ai pour habitude de vouvoyer les joueurs. Qu’est-ce qu’on cherche dans le tutoiement ? Une connivence ? de l’amitié ? En Angleterre, ils n’ont que le you… C’est pareil avec les prénoms. Je préfère dire capitaine et vouvoyer.

Rodrigo Capo-Ortega : je peux tutoyer l’arbitre dans le vestiaire mais pas sur le terrain. Là, je dis « Monsieur l’arbitre ». C’est important de garder cette distance. Il y a des joueurs qui jouent depuis longtemps et qui connaissent les arbitres.

Comme les joueurs d’en face, y-a-t-il des arbitres que vous aimez plus ou moins ?

Christophe Urios : des fois, quand on apprend qu’untel va nous arbitrer on dit : « ah merde ! » On connait tous les arbitres et leurs façons d’arbitrer. Certains ont des tendances fiables, d’autres moins. Il y a des arbitres qui ne valorisent pas la défense et pénalisent les gratteurs. Alors soit tu t’enfermes dans l’idée que l’arbitre est un con, soit tu te dis que c’est toi qui ne s’est pas adapté à son arbitrage. Mais tous les entraîneurs vous diront qu’ils préfèrent être arbitrés par des arbitres de très haut niveau, comme Jérôme.

On a évoqué des consignes de sévérité de la part de World Rugby. Comment utilisez-vous vos outils répressifs ?

Réunis cette semaine à Londres pour préparer les quarts de finale européens, on nous a demandé plus de sévérité sur tout ce qui touche aux valeurs du rugby. Pour appliquer les sanctions, nous avons plein d’outils. Avant on utilisait les 10 mètres de plus ; aujourd’hui on l’utilise moins peut-être à cause de la qualité des buteurs. La pénalité a de plus en plus de poids dans les résultats. Si tu te trompes trois fois, ça fait neuf points. Quand je donne trois points par erreur ça me fait chier, excusez-moi du terme. Après on a les cartons jaune et rouge. Il faut passer à l’action mais à bon escient. Si on met trois fois dix mètres de plus, on va nous accuser d’être trop sévère. Manager tous les acteurs et tous les paramètres sur le terrain, c’est le secret de l’arbitrage.

Est-ce qu’il vous arrive de compenser après une erreur ?

Jérôme Garcès : ça m’est arrivé de m’apercevoir que je m’étais trompé. Le plus dur c’est de l’accepter, mais pénaliser l’autre équipe à tort, c’est encore pire. L’erreur fait partie du jeu. L’arbitre et les joueurs font des erreurs.

Quand vous échangez avec d’autres sports, notamment le foot, quel regard portent-ils sur le rugby ?

Jérôme Garcès : j’échange beaucoup avec le foot. Leur tâche est complexe et j’essaye de récupérer leur bonne pratique. Un exemple : j’arbitre le match Munster-Glasgow une semaine après la mort de l’entraîneur du Munster. Il y avait une grosse pression émotionnelle. Je n’avais pas le droit de me tromper. Au bout de six minutes il y a un coup de pied à suivre et un joueur du Munster plaque un joueur de Glasgow en l’air. Je suis parti dans l’en- but pour regarder la vidéo et marché 50 mètres avec le rouge dans la main. Ils font ça au foot, ça permet de faire descendre la température. On peut l’utiliser à bon escient au rugby. Ce qui va être intéressant c’est d’échanger sur tous les problèmes qu’ils auront avec la vidéo à la Coupe du monde en Russie.

Il y avait des arbitres référents par club. Pourquoi ç’a été supprimé ?

Christophe Urios : plus la relation sera riche, plus il y aura de confiance. J’aimais bien avoir cet arbitre référent. On le faisait venir à des périodes bien déterminées. Trois semaines par trimestre. Ça faisait progresser tout le monde. Le matin entraînement sur le terrain, après vidéo et, enfin, échange avec les joueurs. Ils ont décidé d’arrêter parce que, selon Joël Dumé, ils estimaient que ça ne marchait pas bien. Pourtant, ça mettait du lien, on pouvait l’appeler pour lui demander conseils ou éclaircissements. Après, on n’est pas des copains : on est des professionnels. On cherche quoi ? D’être bien avec les arbitres ? C’est insupportable comme les contestations dans le foot. On n’en est pas là mais, attention, on peut y aller vite. Chez certains capitaines, c’est très marqué ; ils n’arrêtent pas de parler à l’arbitre.

Jérôme Garcès : il y en a dans toutes les équipes ; on les connaît. Il faut savoir les écouter, ou pas. Certains joueurs ne parlent pas mais, d’un simple regard, peuvent avoir beaucoup d’influence.

Christine Hanizet : il faut se mettre dans sa bulle. En ProD2 j’étais arbitre référent ; ça permettait une relation sympathique et l’arbitre était vu comme quelqu’un qui peut apporter quelque chose. C’était détendu et c’était le seul moment où on pouvait s’adresser aux joueurs et entraîneurs sans pression.

Alain Carré : je suis d’accord. C’était bien d’avoir ces arbitres référents. Les coaches travaillaient les secteurs où on était le plus pénalisés. On continue à recevoir des arbitres mais c’est moins programmé. En ProD2, on n’a pas de vidéo mais on a sept arbitres. Il faudrait qu’ils travaillent ensemble. Enfin, cette année, on aura la vidéo pour les phases finales.

Kevin, à 23 ans, nourrissez-vous des ambitions pour le plus haut niveau et formation ?

Kéving Bralley : je crois que nous avons tous, ici, des ambitions à court et long termes. Les gens du CO veulent se qualifier, Jérôme progresser dans la hiérarchie mondiale. Celle que je nourris, c’est d’aller au maximum de mes capacités. Si c’est la fédérale 2, j’y resterai. L’important c’est de continuer à progresser en relation avec les clubs. Je dois aussi m’aguerrir sur le jeu au contact d’entraîneurs et de joueurs de plus haut niveau. En Fédérale 2, on a des outils avec un préparateur physique. On a la vidéo, tous nos matches sont filmés, ça permet les retours avec échanges forts avec les équipes. On reçoit aussi des clips des équipes qu’on a arbitrées le week-end précédent. Soit c’est constructif, soit c’est monté à charge. Et là c’est compliqué de se justifier. On est aussi suivi par un préparateur mental. Certains arbitres ne s’y retrouvent pas mais moi, ça me permet de prendre du recul. On utilise l’imagerie mentale, la sophrologie notamment pour bien mémoriser les attitudes sur les rucks.

Jérôme Garcès : quand j’entends ça, je me dis que ce n’est pas étonnant que les meilleurs arbitres sortent du comité Midi-Pyrénées. C’est le comité pilote. Je dis bravo. Moi aussi, je travaille avec un préparateur mental depuis dix ans. C’est personnel. Avant de faire le premier pas, il faut l’accepter. Peut-être que je l’appellerai demain parce que j’arbitre dimanche prochain. Ou peut-être que ce sera dimanche matin, ou lundi.

Qu’est-ce qu’a changé le micro de l’arbitre ?

Jérôme Garcès : personnellement je n’en fais pas trop. Je n’aime pas les blagues ; je préfère rester sobre. L’arbitre vidéo a le son et ça arrive tous les week-end qu’un joueur vienne demander la vidéo à l’arbitre pour que l’arbitre vidéo l’entende.

Mathieu Babillot : on ne se concentre pas sur ça. En tout cas, pas dans le but que l’arbitre vidéo l’entende.

Jérôme Garces : si l’arbitre n’avait plus de micro, le téléspectateur ne vivrait pas le même match. Regardez comment on suit un match de foot. Le ressenti est très différent.

Christine Hanizet : le micro est un bienfait pour le téléspectateur. Quand je regarde du rugby, je hausse le son et, quand je regarde du foot, je baisse le son. Si quelqu’un commentait les règles, ça ferait du bien.

On a l’impression que les arbitres de touche ne prennent aucune décision au rugby. Ne faudrait-il pas les responsabiliser et faire des trios comme au foot ?

Jérôme Garcès : quand le juge de touche observe du jeu déloyal, il a tendance à faire appel à la vidéo. Moi-même, je suis sûr qu’il y a essai mais, en marchant, je demande à l’arbitre vidéo de contrôler. Mais ne croyez pas que le juge de touche ne fait rien. Quand je le fais, je termine le match autant fatigué que sur le champ.

Christophe, une des grands débats au sujet de l’arbitrage concerne la position de Slimani en mêlée. Pour vous, est-elle légale ou pas ?

Christophe Urios : c’est compliqué, il vaut mieux de demander à Jérôme. Mais je pense que toutes les fautes qui lui sont reprochées ne sont pas justifiées.

Jérôme Garcès : on en fait un peu trop sur ce cas. Contre Galles, il obtient trois pénalités ; il domine son adversaire et on en parle moins. Il n’y a pas deux arbitrages, français et international. Le mercredi, pendant le Tournoi, on dissèque tous les matches. Dans le Tournoi, 70% des ballons introduits en mêlée ont été joués. En Top 14, quand on a cette proportion, on est content. En Top 14, il n’y pas de mêlée où on peut souffler. Au niveau international, c’est rare qu’une mêlée au milieu du terrain s’effondre. Avant le Tournoi, World Rugby nous a demandé d’arbitrer les introductions. A l’arrivée, il y a eu huit bras cassés sur les deux premières journées. On demande au n°9 d’introduire droit et au talonneur de talonner Mais, arbitrer une mêlée ce n’est pas facile. Notre souci en mêlée, ce n’est pas l’introduction. Si ça se passe bien, on est content.

Dernière question pour Jérôme. Les équipes qui défendent sont-elles plus sanctionnées que celles qui attaquent ?

Jérôme Garcès : oui, si on en croit les statistiques du Tournoi. Entre 65% et 70% des fautes sont sifflées contre l’équipe qui défend et 30-35% contre l’attaque.

Colloque 14-18

Le mardi 20 mars, dans le cadre la 4e édition du Festival Rugbimages (19-29 mars), s’est tenu à Albi un colloque sur « le Rugby et la Grande Guerre de 1914-18. La présence de nombreux historiens spécialistes du sujet ont valu à cette manifestation d’obtenir le label de la Mission du Centenaire.

Après la matinée consacrée à la naissance et à l’implantation du rugby en France, dans le dernier quart du XIXe siècle jusqu’à la mobilisation générale d’août 1914 (1), l’après-midi nous a plongés dans « La mêlée des tranchées », comme le titre du livre référence de Francis Meignan.

Mais, avant lui, c’est Alexandre Lafon, qui a « planté le décor » d’une guerre que tous pensaient éclair au début et qui s’est rapidement enlisée sur un front stable courant de la Mer du Nord aux Vosges. Cette sédentarisation des troupes a entraîné des temps d’attente très importants et l’Autorité a vite compris qu’elle devait combler ce vide sous peine de laisser leurs soldats cantonnés à l’arrière du front sombrer dans la mélancolie. Pendant près de quatre ans, en effet, l’emploi du temps était ainsi divisé : une semaine au front, dans les tranchées, une semaine en deuxième ligne et une semaine à l’arrière, au cantonnement. Divers « loisirs » ont donc été encouragés par les haut-gradés. Avec le développement du Théâtre aux armées (également du cinéma et du music-hall), dès 1915, le sport est également apparu comme un facteur de cohésion de l’esprit de groupe, notamment les sports d’équipes comme le football et le rugby. De plus, les matches organisés entre régiments créaient un spectacle supplémentaire tout en renforçant l’intense vie sociale entre poilus. Les « sportmen » arrivés au front diffusent donc au cantonnement leur pratique sportive.

Des matches internationaux, avec les unités étrangères britanniques, néo-zélandaises ou australiennes, sont également organisés à l’arrière et permettent de souligner l’unité des Alliés à travers le sport. Les rugbymen sont souvent diplômés et lettrés, donc sous-officiers pour la plupart. Cela explique pourquoi, tenus de monter en première pour guider leur section à l’assaut, les rugbymen ont été décimés tant en août 1914 qu’en septembre 1915, les deux mois les plus meurtriers du conflit (on a compté 27 000 mort pour la seule journée du 22 août 1914. A. Lafon cite l’exemple, parmi tant d’autres, d’Alfred Armandie , l’international d’Agen dont le stade porte le nom, mort en septembre 1915. Pour conclure, l’historien insiste sur l’importance prise par la vie sociale partagée par des soldats, venus de la ville ou de la campagne, aisés ou pauvres, dans les souvenirs de guerre et l’importance prise par les amicales d’anciens combattants : dans leurs mémoires, on voit plus souvent évoquée cette camaraderie que les scènes de combat.

Ensuite Francis Meignan prend la parole pour raconter comment et pourquoi, malgré quelques désaccords, le rugby n’a jamais cessé d’être pratiqué à l’arrière, parmi les civils (jeunes essentiellement). Pour quatre raisons : les jeunes le voulaient, les alliés britanniques le souhaitaient également, les institutions y avaient intérêt et, enfin, les matches créaient des recettes qui pouvaient contribuer à l’effort de guerre. Ainsi, dès 1915, des compétitions sont montées. C’est là que naît, sur le front, la fameuse boutade : « pourvu que l’arrière tienne ». Ces rencontres scolaires, inter-régiments, voire internationales entre corps d’armée alliés vont hausser le niveau du rugby français qui, dès les années 1920, à la reprise du Tournoi des Cinq Nations, vont rivaliser avec leurs adversaires britanniques comme il n’avait jamais pu le faire avant la guerre.

Denis Gailhard s’attache ensuite à démonter, chiffres et cartes à l’appui, l’allégation qui accusait, alors, les régiments du Midi (ceux où les rugbymen étaient le mieux représentés) d’avoir manqué d’ardeur au combat. Il cite le Toulousain Alferd Maysonnié, le premier international français mort au combat, le 6 septembre 1915. Il renvoie également aux monuments aux morts qui s’élèvent après guerre dans les enceintes des stades pour perpétrer la mémoire des joueurs fauchés dans leur jeunesse et rappelle le nombre de rugbymen internationaux par nation, morts au combat : 22 Français, 31 Ecossais, 26 Anglais, 10 Gallois, 9 Irlandais, 12 Néo-Zélandais, 4 Sud-Africains et 9 Australiens. Francis Meignan intervient alors pour relever l’imprécision entourant le Trophée mis en jeu cette année du centenaire de la fin du conflit (2018) pour honorer les internationaux sacrifiés : on présente Burgun et Milroy, morts au combat, comme les capitaines du dernier France-Ecosse disputé avant-guerre (en 1913 et par ailleurs tellement émaillé d’incidents avec les joueurs et le public parisien que les Ecossais ont refusé de recevoir la France en 1914) alors que les deux capitaines étaient, ce jour-là, Lane et Turner (également morts dans les tranchées). Et, avant qu’on évoque la mémoire d’Aimé Giral après qu’on a dit qui était Armandie d’Agen, il rappelle ce que peu de monde sait : le stade du Parc d’Aguilera à Biarritz s’appelle Jean Larribau, du nom de l’international biarrot, lui aussi mort au combat.

Arrive Hélène Legrais, spécialiste de l’histoire du rugby catalan à jamais marquée par la disparition au front de sept des quinze champions de France de l’AS Perpignan (ancêtre de l’USAP) titrés au printemps 1914. Parmi eux, elle ressort la personnalité et le parcours hors-norme du jeune ouvreur Aimé Giral, mort quelques jours avant ses vingt ans, le 2 juillet 1915. La nouvelle fut ainsi annoncée par le journal l’Indépendant de Perpignan : « Le gosse est mort ! ». Cette disparition traumatisante marque aussi un tournant dans l’opinion publique. Ce ne sont plus les vaillants rugbymen qui montent à l’assaut des « boches » comme à celui des lignes tarbaises ou bayonnaises mais bien la prise de conscience de l’infâme boucherie, conséquence d’une tragique stratégie militaire.

Puis Olivier Reggiani, professeur des écoles à Saint-Félix-de-Sorgues, un village du Sud-Aveyron, vient exposer le travail pédagogique qu’il a réalisé avec ses élèves de primaire autour du personnage du Dacquois Maurice Boyau, aviateur émérite de la guerre après avoir commandé le XV de France. Tout est parti du poème écrit par un garçon du village, écrit juste après la guerre, qui se souvenait du copain qui venait l’été passer ses vacances chez ses grands-parents maternels. Ce copain c’était Boyau. Et les élèves ont réalisé un livre illustré de différentes photos, ont plongé dans l’histoire de la guerre comme dans celle du rugby pour faire revivre ce pur héros, abattu le 29 septembre 1918, quelques semaines avant l’armistice et après avoir remporté 35 victoires homologuées dans le ciel (cinquième « as » officiel français). Le 29 septembre prochain, l’école de Saint-Félix, qui n’a jamais porté de nom, sera baptisée Maurice Boyau. L’instituteur a sollicité la Fédération Française de Rugby pour qu’elle s’associe à cette commémoration, sans avoir encore obtenu de réponse…

Pour conclure, le journalise néo-zélandais Ian Borthwick, bien connu des lecteurs de Midi-Olympique puis de L’Equipe, raconte le traumatisme et, en même temps, l’acteur fondateur de la nation, qu’a constitué l’engagement des troupes néo-zélandaises dans le conflit mondial. En 1914, le pays ne comptait qu’un million d’habitants et 100 000 soldats sont partis combattre. 18 000 sont morts, 41 000 sont revenus blessés. Jusque-là, la première apparition internationale du pays avait été la tournée triomphale des « Originals », les premiers All Blacks, dans les îles britanniques fin 1905 et, à Paris, pour le premier match de l’histoire de l’équipe de France, le 1er janvier 1906. Ces All Blacks ont créé un modèle que toute la nation, pas seulement les joueurs de rugby, cherche à imiter depuis. Toujours en lien avec le rugby, la première action militaire du contingent kiwi est d’aller conquérir les îles Samoa, sous domination allemande. Puis vient le conflit des Dardanelles et ses lourdes pertes même si la majorité des Kiwis morts dans le conflit sont tués sur le sol français (12 000). C’est pour honorer leur mémoire que, depuis 2000, les All Blacks portent un coquelicot rouge pour leurs tournées européennes en novembre. Et le match qui les oppose à la France met en jeu le trophée Dave Gallagher, le capitaine des « Originals », tué sur le front à Duquesnois, en Belgique.

Toutes les coordonnées des intervenants de ce Colloque comme tout le programme du Festival Rug’images se trouvent sur le site www.rugbimages.com

(1) Après l’ouverture du Colloque prononcée par Rémy Cazals, sont intervenus dans la matinée : Claude Martin, Francis Meignan, Denis Gailhard et Hélène Legrais